Extrait de "Nous sommes tous des pornstars", création le 8 septembre 2015 à la Bâtie, festival de Genève.
Tu marches dans la grande ville
Jusqu’à ce que tes pieds ne puissent plus te porter
Jusqu’à ce que tu t’effondres
Que ton corps te lâche
T’abandonne
Et personne pour te voir
Pour prêter attention à toi
Tu es devenu invisible
C’est arrivé comme ça
Il paraît que certaines personnes s’entrainent pour y parvenir
Que c’est une sorte de métier
Devenir invisible pour échapper au regard de la police
Mais toi, tu n’as rien demandé
Et les autres
Souvent ils se cognent à toi
Te laissent à moitié sonné pour continuer leurs chemins
Et tu ne dis rien
Tu ne protestes pas
Mais que pourrais-tu dire ?
Il y a si longtemps que tu n’as pas parlé
Juste quelques mots en cas d’absolu nécessité
Pour le reste, rien
Enfin rien qui ressemble à une conversation entre êtres humains
C’est arrivé comme ça
Progressivement
La disparition du langage
La disparition des mots dans ta bouche
Cette terrible sensation de perte
Mais tes yeux
Oui, tes yeux
Ils continuent à voir tes yeux
Plus précis que des caméras de vidéosurveillance
Ils aspirent tout
Une modélisation parfaite de la réalité
Par tes yeux, tu ressens la moindre texture
L’extrême complexité de certaines formes
Les températures
Et tous ces corps
Ces corps que ton regard enregistre
Scanne
Dissèque
Partout il y a les corps des femmes dans la rue
Dans les vitrines des magasins
Sur les panneaux publicitaires
En devanture des kiosques à journaux
Tu aimerais tellement qu’elles te regardent
Que ces femmes te regardent
Qu’elles te parlent peut-être
Alors aujourd’hui tu t’arrêtes
Tu t’arrêtes devant une vitrine d’un magasin de vêtements
Une de ces chaines qui pullulent dans toutes les villes d’Europe
Et là, qui te fait face, il y a cette femme beaucoup plus grande que toi
Il y a cette femme gigantesque
Tu ne vois que la moitié de son corps
Elle est en maillot de bain
Un immense sourire sur le visage
Elle s’en moque de la pluie au dehors
Elle s’en moque du froid glacial qui te transperce les chairs
Elle offre son corps bronzé et plein de vie aux regards des autres
Elle s’en moque de ce que tu peux penser
Car elle sait au plus profond d’elle-même qu’elle est belle
Et toi, tu ressens ce besoin irrépressible de la toucher
Ça t’envahit
Te submerge
C’est comme un gouffre impossible à satisfaire
Pas seulement parce qu’une vitre vous sépare
Pour elle, tu n’existes pas
Maintenant tu voudrais crier
Dire que les corps de ces femmes dans les rues, ce n’est plus possible
Que tu pourrais faire quelque chose de mal
Que la solitude, ce n’est plus possible
Que tu as simplement besoin d’un peu de chaleur
Que quelqu’un te prenne dans les bras
Te serre contre lui
Te reconnaisse en tant qu’être humain
Extraits de différents textes de théâtre déjà créés à la scène ou encore en cours d'écriture. Ainsi que des informations sur la vie de ces mêmes textes.
mardi 15 septembre 2015
lundi 6 octobre 2014
Le théâtre indépendant, un monde en crise
Article écrit pour le journal La Cité en octobre 2012 sur la situation du théâtre indépendant en Suisse romande. Deux ans plus tard, après la dernière rencontre avec les arts de la scène organisée à Genève, le 29 septembre 2014, les propos tenus dans l'article gardent toute leur pertinence.
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lundi 25 août 2014
Toi et ta machine
Très bref texte de commande écrit d'après une photo en lien avec les travaux du CEVA pour le numéro 2 de l'Autruche, Journal de la Comédie de Genève, en avril 2013.
mercredi 21 mai 2014
Alice B. a disparu ou Meyrin, matière à écrire
Le 10 mai 2014, au Forum Meyrin, le Collectif Nous sommes vivants présentait Alice B. a disparu ou Meyrin, matière à écrire. Soit la chronique de la disparition d'une adolescente Alice B. à travers cinq moments au cours d'une même journée, cinq moments pouvant être une explication possible à sa disparition. Chacun des cinq auteurs du Collectif a pris en charge l'écriture d'un de ces moments. Voici le mien.
Je ne la connais pas
Je ne l’ai jamais vu
Une fille qui s’appellerait Alice, je m’en souviendrais
Peut-être qu’elle lui ressemble
Peut-être que c’est son sosie ou un truc du genre
Paraît que nous avons tous un ou plusieurs sosies dans le monde
C’est prouvé
C’est mon père qui me l’a dit
Mon père, depuis cinq ans qu’il est sans travail, il a le temps de lire
Toujours fourré à la bibliothèque du Forum Meyrin
Au premier étage où il y a les livres de sociologie
Enfin tous ces trucs qui se terminent en i
Ou au rez-de-chaussée
Au rayon actualités
Vous savez à côté de la machine à café
Même que ma mère, elle ne trouve pas ça normal
Cherche du travail au lieu de toujours lire
Mais mon père, il ne peut pas chercher toute la journée
Il deviendrait dingue
Si on te dit non en permanence, toi, tu finis par te sentir un moins que rien
Un rebut d’humanité
Alors tu as des envies de meurtre
Buter quelqu’un pour te sentir exister
Mon père, il ne tuerait personne
Mon père, c’est un gentil
C’est pour ça qu’il lit autant
Moi, honnêtement, ça n’a jamais été trop mon truc les livres
Ce n’est pas que je n’aime pas lire
Mais je préfère le côté live
Mon père, par exemple, il a toujours les mots justes pour expliquer
Ce n’est pas comme certains de mes profs
Il y en a, tu ne sais pas pourquoi ils ont choisi ce métier
Encore plus blasé que moi quand je fais un exposé
Mon père, lui, quand il te parle, il a tout le corps qui vibre
Sans oublier ses yeux qui brillent
Après mon père, c’est quand même un vieux
Quand je le croise au centre commercial, je fais comme si je ne le voyais pas
Un geste de la main
Parfois deux ou trois mots
Ma mère aussi, c’est quelqu’un
Elle doit être forte quelque part vu qu’elle a réussi à m’élever
Aujourd’hui ça va
A un moment dans la vie, faut arrêter de déconner
Sinon ça finit mal Toujours ça finit mal
Les histoires de gangsters qui se terminent bien, c’est dans les films
Ma mère, elle n’a pas peur de m’engueuler
On discute mais il y a des règles
Parce que ça te donne une assise
Un truc pour avancer
Les parents, ça doit être ça, des sortes de guides
Si tes guides ne sont pas bons, tu dois te débrouiller seul comme mon copain Karim
Mais s’ils sont ok, tu as plus de chances d’avancer droit dans la vie
Je ne vous dirai pas son nom
Elle m’a fait promettre
Moi, je tiens toujours mes promesses
Je ne suis pas du genre à me répandre sur facebook
Pourquoi ça serait bizarre ?
Il n’y a rien qui me l’interdit
J’ai le droit de me promener où je veux
Ce n’est pas réservé aux vieux avec leurs chiens
Vous croyez quoi ?
Que tous les jeunes passent leurs journées à Meyrin Centre à mater ?
Un centre commercial de pauvres avec des rêves de pauvres, voilà ce que c’est
Dosenbach, Vogele, Yendi, Coop, Denner, Migros, Boucherie chevaline, C&A, Christ, Zebra, Interdiscount, Ochsner sport, 5 à sec, Cats & dogs, Mister Minit
Ça vous fait rêver ?
J’ai vu cette exposition dans le hall du Forum Meyrin
Là où il y a la fontaine avec l’immense verrière Je ne sais plus quand c’était
Un truc incroyable
Les mecs, ils ont prévu de construire une petite ville entre Meyrin centre et Meyrin village
Une ville dans la ville
Avec plein de bâtiments avec des formes étranges
Rien de commun avec l’immeuble où j’habite de l’avenue Vaudagne
Chez nous, au 31, c’est tout carré
Sans imagination
Là, ça s’appelle des coopératives
Et puis ce sont des trucs super écologiques
Minergie, c’est le nom
Honnêtement je ne sais pas trop ce que ça veut dire
Mais c’est quelque chose de bien pour la planète
Des bâtiments avec des espaces communs
Des endroits pour se retrouver
Faire la fête
Je le sais parce que dans l’exposition, il y avait des bandes dessinées qui expliquaient tout ça
J’avais le temps de les lire vu que j’attendais mon père qui était à la bibliothèque
Le truc qui m’a le plus marqué, c’est que les immeubles ne sont pas encore construits et pourtant les rues qui les relient ont déjà des noms
C’est comme dans cette ville du Brésil dont m’a parlé mon père
Il y a cet architecte, Oscar Niemeyer, je crois, qui a pensé tout ça
Et maintenant cette ville, c’est la capitale du Brésil
À Meyrin, bien sûr, ce n’est pas pareil
Il y a des rues en hommage au cinéma
La rue des Arpenteurs
La promenade de la Dentellière
Ou encore l’allée des Petites fugues
Je vous dis ça
Mais moi, je n’y connais rien aux vieux films
Surtout que si j’ai bien compris, ce sont des vieux films suisses
Ça passe à Balexert les films suisses ?
Sinon il y a d’autres rues, c’est parce qu’il y a le CERN à côté
L’allée de la Science
L’allée de l’Innovation
Moi, j’aimerais bien visiter le CERN
Ça doit être quelque chose
À la Golette, il y a des élèves dont les parents travaillent au CERN
Que des têtes
Je parle des parents
Ce n’est pas parce que ton père ou ta mère sont super intelligents que tu l’es aussi
Ça serait trop facile
Moi, en tout cas, je trouve ça incroyable cette histoire d’éco-quartier
L’autre jour, je me suis arrêté avec cette fille
Pour voir où en étaient les travaux
Elle, je crois qu’elle s’en foutait des Vergers
Mais elle a fait comme si c’était super passionnant
Je ne sais pas si vous avez remarqué
Des fois, tu parles pendant des heures sans rien dire d’intéressant
Ce n’est pas Alice la fille qui était avec moi
Pourquoi ça aurait été elle ?
C’est quoi vos preuves ?
Personne ne peut vous avoir dit ça
Peut-être que je sais qui c’est
Peut-être que je serais capable de la reconnaître si je la voyais
Mais on ne s’est jamais parlé
Je vous jure
Ou une fois
Rien qu’une fois
C’est comme si ça ne comptait pas Je sais qu’elle a disparu
Pas la peine de crier
Moi, je n’y suis pour rien
Je vous jure que je n’y suis pour rien
Je l’aurais tué et fait tomber dans une coulée de béton ?
Vous regardez trop de films américains
C’est Meyrin ici
Pas Los Angeles
Faudrait arrêter de vous pourrir l’imaginaire
Je ne vous ai pas menti
J’ai simplement arrangé la réalité
Maintenant que vous savez que j’étais avec elle, vous pensez au pire
Vous ne pouvez pas vous en empêcher
C’est pour ça que je préférais me taire
Faut savoir se préserver
Maintenant que je n’ai pas réussi à me taire
Maintenant que j’ai rompu ma promesse, tout va me retomber dessus
Mais moi, je n’ai rien fait
J’ai seulement menti un peu
Et honnêtement, mentir un peu, ce n’est pas si grave
Mentir un peu, ça ne vous mène pas en prison
Sinon tout le monde y serait déjà
Dites
Normalement j’ai droit à un avocat
Ou appeler mes parents, j’ai droit
Parce que ça commence à faire longtemps que je vous parle et j’ai comme l’impression que ça va encore durer longtemps
Vous avez une piste ?
Vous pouvez me dire, je ne répèterai pas
Moi, honnêtement, parce que maintenant je peux vous dire toute la vérité, Alice, je ne la connaissais pas vraiment
À la Golette, je voyais qui c’était
Mais ça n’a jamais été une copine
Là, c’est elle qui est venue me parler
Même que ça m’a étonné
Une fille comme elle, ça ne gatte pas les cours
Ça arrive à l’heure et ça repart à l’heure
Ça ne fait pas de vagues
Là, elle m’a pris par la main et m’a demandé si elle pouvait marcher avec moi
Moi, je n’aime pas trop qu’on me touche quand je ne connais pas
Mais comme elle est jolie, j’ai accepté
Alors nous avons commencé à marcher
Et moi, je ne savais pas trop quoi dire et elle, elle ne disait rien non plus
C’est là que je lui ai demandé si elle voulait voir un truc
Comme elle m’a dit oui, je l’ai emmené aux Vergers
De toute façon, c’est ce que j’avais prévu
C’est pour ça que j’avais gatté les cours
Pour ça et aussi pour éviter une interro de math
Aux Vergers, pour l’instant, il n’y a rien
Enfin presque rien
Des monticules de terre, de sable, de cailloux
Des pissenlits
De la mauvaise herbe
De la terre retournée
Des arbres par endroits
Et quelques engins de chantier avec les travailleurs qui vont avec
Mais c’est tellement démesuré
Tellement imposant
La nuit, c’est encore mieux
Se faufiler à l’intérieur du chantier Echapper aux rondes de l’entreprise de sécurité
Arpenter les routes asphaltées et pleines de poussière
Fumer une cigarette contre les baraquements des employées
La journée, suivant d’où tu regardes, il ne se passe rien
Faut être patient
Varier les points de vue
Devant l’hôpital de la tour
Derrière le centre sportif
A côté de la patinoire
Derrière chez moi
Avec Alice, on a fait tout le tour
Nous avons dû commencer vers 9h15
Nous nous sommes arrêtés sur les bancs à côté du centre sportif
Là où il y a les barbecues
Moi, je n’ai pas arrêté de parler
Alice, elle n’a pas dû prononcer plus de deux ou trois phrases
Moi, je lui ai sorti toute ma science
Comme si ça pouvait l’intéresser un truc pareil
Et puis quand nous avons fini le tour
Quand on retournait vers Meyrin Centre, elle m’a dit
Il faut que je parte
Et puis elle a ajouté
Merci
Après elle m’a embrassé sur la joue gauche
Juste ici
C’était agréable comme sensation
Elle avait les lèvres toutes douces et chaudes
C’est comme ça qu’elle est partie
Elle ne s’est même pas retournée
Moi, je n’ai pas osé la suivre
Je crois qu’elle s’est dirigée vers le garage Meyrina
Vous savez celui de la rue de Livron
C’est la dernière fois que je l’ai vu
Je vous jure que c’est la vérité
Je ne la connais pas
Je ne l’ai jamais vu
Une fille qui s’appellerait Alice, je m’en souviendrais
Peut-être qu’elle lui ressemble
Peut-être que c’est son sosie ou un truc du genre
Paraît que nous avons tous un ou plusieurs sosies dans le monde
C’est prouvé
C’est mon père qui me l’a dit
Mon père, depuis cinq ans qu’il est sans travail, il a le temps de lire
Toujours fourré à la bibliothèque du Forum Meyrin
Au premier étage où il y a les livres de sociologie
Enfin tous ces trucs qui se terminent en i
Ou au rez-de-chaussée
Au rayon actualités
Vous savez à côté de la machine à café
Même que ma mère, elle ne trouve pas ça normal
Cherche du travail au lieu de toujours lire
Mais mon père, il ne peut pas chercher toute la journée
Il deviendrait dingue
Si on te dit non en permanence, toi, tu finis par te sentir un moins que rien
Un rebut d’humanité
Alors tu as des envies de meurtre
Buter quelqu’un pour te sentir exister
Mon père, il ne tuerait personne
Mon père, c’est un gentil
C’est pour ça qu’il lit autant
Moi, honnêtement, ça n’a jamais été trop mon truc les livres
Ce n’est pas que je n’aime pas lire
Mais je préfère le côté live
Mon père, par exemple, il a toujours les mots justes pour expliquer
Ce n’est pas comme certains de mes profs
Il y en a, tu ne sais pas pourquoi ils ont choisi ce métier
Encore plus blasé que moi quand je fais un exposé
Mon père, lui, quand il te parle, il a tout le corps qui vibre
Sans oublier ses yeux qui brillent
Après mon père, c’est quand même un vieux
Quand je le croise au centre commercial, je fais comme si je ne le voyais pas
Un geste de la main
Parfois deux ou trois mots
Ma mère aussi, c’est quelqu’un
Elle doit être forte quelque part vu qu’elle a réussi à m’élever
Aujourd’hui ça va
A un moment dans la vie, faut arrêter de déconner
Sinon ça finit mal Toujours ça finit mal
Les histoires de gangsters qui se terminent bien, c’est dans les films
Ma mère, elle n’a pas peur de m’engueuler
On discute mais il y a des règles
Parce que ça te donne une assise
Un truc pour avancer
Les parents, ça doit être ça, des sortes de guides
Si tes guides ne sont pas bons, tu dois te débrouiller seul comme mon copain Karim
Mais s’ils sont ok, tu as plus de chances d’avancer droit dans la vie
Je ne vous dirai pas son nom
Elle m’a fait promettre
Moi, je tiens toujours mes promesses
Je ne suis pas du genre à me répandre sur facebook
Pourquoi ça serait bizarre ?
Il n’y a rien qui me l’interdit
J’ai le droit de me promener où je veux
Ce n’est pas réservé aux vieux avec leurs chiens
Vous croyez quoi ?
Que tous les jeunes passent leurs journées à Meyrin Centre à mater ?
Un centre commercial de pauvres avec des rêves de pauvres, voilà ce que c’est
Dosenbach, Vogele, Yendi, Coop, Denner, Migros, Boucherie chevaline, C&A, Christ, Zebra, Interdiscount, Ochsner sport, 5 à sec, Cats & dogs, Mister Minit
Ça vous fait rêver ?
J’ai vu cette exposition dans le hall du Forum Meyrin
Là où il y a la fontaine avec l’immense verrière Je ne sais plus quand c’était
Un truc incroyable
Les mecs, ils ont prévu de construire une petite ville entre Meyrin centre et Meyrin village
Une ville dans la ville
Avec plein de bâtiments avec des formes étranges
Rien de commun avec l’immeuble où j’habite de l’avenue Vaudagne
Chez nous, au 31, c’est tout carré
Sans imagination
Là, ça s’appelle des coopératives
Et puis ce sont des trucs super écologiques
Minergie, c’est le nom
Honnêtement je ne sais pas trop ce que ça veut dire
Mais c’est quelque chose de bien pour la planète
Des bâtiments avec des espaces communs
Des endroits pour se retrouver
Faire la fête
Je le sais parce que dans l’exposition, il y avait des bandes dessinées qui expliquaient tout ça
J’avais le temps de les lire vu que j’attendais mon père qui était à la bibliothèque
Le truc qui m’a le plus marqué, c’est que les immeubles ne sont pas encore construits et pourtant les rues qui les relient ont déjà des noms
C’est comme dans cette ville du Brésil dont m’a parlé mon père
Il y a cet architecte, Oscar Niemeyer, je crois, qui a pensé tout ça
Et maintenant cette ville, c’est la capitale du Brésil
À Meyrin, bien sûr, ce n’est pas pareil
Il y a des rues en hommage au cinéma
La rue des Arpenteurs
La promenade de la Dentellière
Ou encore l’allée des Petites fugues
Je vous dis ça
Mais moi, je n’y connais rien aux vieux films
Surtout que si j’ai bien compris, ce sont des vieux films suisses
Ça passe à Balexert les films suisses ?
Sinon il y a d’autres rues, c’est parce qu’il y a le CERN à côté
L’allée de la Science
L’allée de l’Innovation
Moi, j’aimerais bien visiter le CERN
Ça doit être quelque chose
À la Golette, il y a des élèves dont les parents travaillent au CERN
Que des têtes
Je parle des parents
Ce n’est pas parce que ton père ou ta mère sont super intelligents que tu l’es aussi
Ça serait trop facile
Moi, en tout cas, je trouve ça incroyable cette histoire d’éco-quartier
L’autre jour, je me suis arrêté avec cette fille
Pour voir où en étaient les travaux
Elle, je crois qu’elle s’en foutait des Vergers
Mais elle a fait comme si c’était super passionnant
Je ne sais pas si vous avez remarqué
Des fois, tu parles pendant des heures sans rien dire d’intéressant
Ce n’est pas Alice la fille qui était avec moi
Pourquoi ça aurait été elle ?
C’est quoi vos preuves ?
Personne ne peut vous avoir dit ça
Peut-être que je sais qui c’est
Peut-être que je serais capable de la reconnaître si je la voyais
Mais on ne s’est jamais parlé
Je vous jure
Ou une fois
Rien qu’une fois
C’est comme si ça ne comptait pas Je sais qu’elle a disparu
Pas la peine de crier
Moi, je n’y suis pour rien
Je vous jure que je n’y suis pour rien
Je l’aurais tué et fait tomber dans une coulée de béton ?
Vous regardez trop de films américains
C’est Meyrin ici
Pas Los Angeles
Faudrait arrêter de vous pourrir l’imaginaire
Je ne vous ai pas menti
J’ai simplement arrangé la réalité
Maintenant que vous savez que j’étais avec elle, vous pensez au pire
Vous ne pouvez pas vous en empêcher
C’est pour ça que je préférais me taire
Faut savoir se préserver
Maintenant que je n’ai pas réussi à me taire
Maintenant que j’ai rompu ma promesse, tout va me retomber dessus
Mais moi, je n’ai rien fait
J’ai seulement menti un peu
Et honnêtement, mentir un peu, ce n’est pas si grave
Mentir un peu, ça ne vous mène pas en prison
Sinon tout le monde y serait déjà
Dites
Normalement j’ai droit à un avocat
Ou appeler mes parents, j’ai droit
Parce que ça commence à faire longtemps que je vous parle et j’ai comme l’impression que ça va encore durer longtemps
Vous avez une piste ?
Vous pouvez me dire, je ne répèterai pas
Moi, honnêtement, parce que maintenant je peux vous dire toute la vérité, Alice, je ne la connaissais pas vraiment
À la Golette, je voyais qui c’était
Mais ça n’a jamais été une copine
Là, c’est elle qui est venue me parler
Même que ça m’a étonné
Une fille comme elle, ça ne gatte pas les cours
Ça arrive à l’heure et ça repart à l’heure
Ça ne fait pas de vagues
Là, elle m’a pris par la main et m’a demandé si elle pouvait marcher avec moi
Moi, je n’aime pas trop qu’on me touche quand je ne connais pas
Mais comme elle est jolie, j’ai accepté
Alors nous avons commencé à marcher
Et moi, je ne savais pas trop quoi dire et elle, elle ne disait rien non plus
C’est là que je lui ai demandé si elle voulait voir un truc
Comme elle m’a dit oui, je l’ai emmené aux Vergers
De toute façon, c’est ce que j’avais prévu
C’est pour ça que j’avais gatté les cours
Pour ça et aussi pour éviter une interro de math
Aux Vergers, pour l’instant, il n’y a rien
Enfin presque rien
Des monticules de terre, de sable, de cailloux
Des pissenlits
De la mauvaise herbe
De la terre retournée
Des arbres par endroits
Et quelques engins de chantier avec les travailleurs qui vont avec
Mais c’est tellement démesuré
Tellement imposant
La nuit, c’est encore mieux
Se faufiler à l’intérieur du chantier Echapper aux rondes de l’entreprise de sécurité
Arpenter les routes asphaltées et pleines de poussière
Fumer une cigarette contre les baraquements des employées
La journée, suivant d’où tu regardes, il ne se passe rien
Faut être patient
Varier les points de vue
Devant l’hôpital de la tour
Derrière le centre sportif
A côté de la patinoire
Derrière chez moi
Avec Alice, on a fait tout le tour
Nous avons dû commencer vers 9h15
Nous nous sommes arrêtés sur les bancs à côté du centre sportif
Là où il y a les barbecues
Moi, je n’ai pas arrêté de parler
Alice, elle n’a pas dû prononcer plus de deux ou trois phrases
Moi, je lui ai sorti toute ma science
Comme si ça pouvait l’intéresser un truc pareil
Et puis quand nous avons fini le tour
Quand on retournait vers Meyrin Centre, elle m’a dit
Il faut que je parte
Et puis elle a ajouté
Merci
Après elle m’a embrassé sur la joue gauche
Juste ici
C’était agréable comme sensation
Elle avait les lèvres toutes douces et chaudes
C’est comme ça qu’elle est partie
Elle ne s’est même pas retournée
Moi, je n’ai pas osé la suivre
Je crois qu’elle s’est dirigée vers le garage Meyrina
Vous savez celui de la rue de Livron
C’est la dernière fois que je l’ai vu
Je vous jure que c’est la vérité
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