lundi 12 mai 2014

La soirée des manifestes

Le 2 mai, dans le cadre du Festival du Jamais lu, à Montréal, plusieurs collectifs d'auteurs issus de toute la francophonie se sont réunis, dont le collectif suisse Nous sommes vivants. Pour préparer cette soirée exceptionnelle, nous avons tous dû répondre à des questions. Voici trois de ces questions ainsi que mes réponses.
Note : Les deux premières réponses n'ont pas été retenues dans le montage final qui devait laisser la place aux mots de 16 auteurs vivants !
Décrivez-moi concrètement d’où vous écrivez. Votre bureau, le café, la pièce, la maison, la rue où vous vous mettez au travail des mots. L’atmosphère dans laquelle vous êtes. Est-ce la bonne pour écrire ? La vraie, la poétique, la politique. 

Il n’y a pas de bonne manière d’écrire
Il y a celle qui juste pour soi
Celle qui nous correspond véritablement
Celle qui nous permet de trouver le souffle intime du monde au sein de notre corps
A chacun ses besoins
A chacun ses nécessités
Moi, je me suis aperçu que j’ai besoin d’être hors du monde pour être au plus prêt de lui
J’ai besoin de me retirer dans un endroit sans wifi
Sans sollicitation en tout genre
Un endroit qui me permet de retrouver le gout des mots
De mes propres mots
Pas des mots entendus, rapportés par le flot médiatique
Des mots dont je peux soupeser le poids
Apprécier les formes
Écouter les sonorités
Alors si vous tenez vraiment à savoir quel est le meilleur endroit pour écrire
Enfin le meilleur endroit selon moi pour écrire
Je vous dirais que c’est à Chandolin
Un petit village des Alpes suisses, dans le canton du Valais, à 2000 mètres d’altitude
Dans un appartement au confort spartiate
Sans connexion internet
Un endroit où ma seule alternative à l’écriture, c’est la marche en forêt
Un endroit où je passe facilement plusieurs jours sans parler à personne si ce n’est à la serveuse du bar où je prends mon café et à la caissière du petit supermarché où je fais mes courses
Un endroit où l’air est encore pur et les mots plus légers

Quels enfants littéraires souhaitez-vous mettre au monde ? 

Des enfants qui m’apprennent à vivre
Des enfants qui me donnent les moyens de comprendre le monde qui m’entoure
Qui décalent mon regard
Qui remettent en jeu mes certitudes
Qui me posent des questions
Des enfants qui me surprennent
 Qui sachent grandir en mon absence
 Oui, des enfants qui n’aient pas besoin de moi pour être pleinement au monde
Qui réussissent à tuer le père pour appartenir à toutes et à tous
Des enfants qui s’insèrent dans une histoire
Qui savent ce qu’ils doivent au passé comme ce qu’ils portent de promesses pour le futur
Mais je ne sais pas si je suis capable d’avoir ces enfants-là
 Car parfois
Oui, parfois je doute même d’être un auteur
Alors pour l’instant, je me contente d’essayer
Et on verra bien
Oui, on verra bien ce que deviendront mes enfants
Mes enfants faits de mots difficilement choisis et de tant de rêves inaboutis

Le Québec, la terre d’accueil de cette soirée, évoque-t-elle quelque chose de précis pour vous? Quelle image en avez-vous? Quelle résonnance ou absence a-t-elle dans l’Histoire de votre pays. 

Quand on me dit Québec, je pense à la phrase du Général de Gaulle du 24 juillet 1967
Je pense à cette fille rencontrée en 1996 sur un ferry entre deux iles grecques, à son sourire, aux premiers mots que nous avons échangé et ma difficulté à la comprendre alors que nous étions censés parler la même langue
Je pense à cet autre voyageur québécois croisé à la frontière entre la Bulgarie et la Roumanie. A tout le chemin que nous avons parcouru ensemble. A nos discussions sans fin sur la nourriture. A nos engueulades sur la qualité des fromages français
Et bien sûr, je pense à Céline Dion, oui, à Céline Dion, à ses deux jumeaux, Eddy et Nelson, et à son cher mari René
Je pense aussi au film Polytechnique de Denis Villeneuve
Je pense à Pierre Baillot, au très bel humain Pierre Baillot, qui jouait dans Celle-là de Daniel Danis, mis en scène par Alain Françon
Et surtout je pense à mon fils, au moment où j’ai appris que j’allais être père, dans le sous-sol d’une maison, de la banlieue de Québec. Au moment où nous l’avons annoncé pour la première fois à des amis, à Montréal, au cours d’une fête dans le quartier de Rosemont. Oui, pour moi, c’est surtout ça le Québec, le visage de mon fils, l’impression d’être enfin devenu un adulte

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