vendredi 4 octobre 2013

Les souterrains

Texte écrit dans le cadre de la soirée du collectif d'auteurs Nous sommes vivants (Si t'es venu à Limoges pour critiquer, t'aurais mieux fait de rester en Suisse) pendant l'édition 2013 du Festival des Francophonies en Limousin.

C’était il y a longtemps
Halloween n’était pas encore à la mode en Europe
Tout au plus, la fête était connue du grand public par l’intermédiaire de films américains
Il n’y avait pas ces magasins qui remplissaient leurs vitrines de citrouilles, de squelettes, enfin de tout ce folklore
En temps-là, il n’y avait que la Toussaint
Et la Toussaint, à l’exception peut-être des magasins de fleurs, ça n’a jamais enrichi personne
La Toussaint, ça n’a franchement rien de réjouissant
En ce temps-là
Quand Halloween n’était pas encore à la mode
Avec tes amis qui n’étaient pas des amis facebook mais de vrais amis, des amis que tu pouvais toucher, enlacer, vous fêtiez votre petit Halloween
Oui
Un Halloween à Limoges
Un Halloween qui n’était pas passé par Paris avant d’arriver jusqu’à vous
Tu étais jeune
          Si jeune
Bien sûr, en ce temps-là, le chômage, la crise et tout son cortège de mauvaises nouvelles étaient déjà là
Mais toi
          Toi, tu conservais une certaine forme d’insouciance
          Un espoir que l’avenir serait forcément meilleur
Quelques jours avant Halloween, tu te préparais
          Tu y mettais toute ton imagination
          Ton enthousiasme
Il s’agissait d’avoir le plus beau déguisement
Celui qui ferait sensation
Celui qui te permettrait d’aborder une fille
De dépasser ta timidité
De réussir à articuler plus de trois mots sans te mettre à bafouiller
Le jour venu
Le jour d’Halloween
Peu après 21h, tu descendais costumé dans un souterrain proche de la cathédrale
Entrer dans ce souterrain, c’était déjà une promesse
Avec ses escaliers escarpés
Son entrée étroite
Combien étiez-vous là dessous ?
Une centaine
Peut-être plus
La chaleur qu’il faisait là dessous
Parfois
Parfois vous étiez si serré les uns contre les autres qu’il était impossible de danser
Vous deviez vous contenter d’hocher légèrement la tête tout en fumant vos cigarettes
Ce n’est que douze heures plus tard que vous ressortiez de là-dessous
Vidé
Fatigué
Mais aussi incroyablement heureux
Avec la conscience fragile d’être en vie
Et puis
Et puis vous avez vieilli
Limoges a changé
De nombreux souterrains ont été fermés
On s’est mis à parler de normes de sécurité
De danger pour le public
De problèmes d’assurance
De nuisances sonores
Aujourd’hui tout est soumis à autorisation
           Amusez si vous voulez
           Mais dans le calme
           Toujours dans le calme
Et toi, avec ta nouvelle vie
Enfin ta vie de maintenant
Avec ta femme
Tes enfants
Ta petite maison
Toi et tes multiples crédits à payer
Toi et ton insatisfaction chronique
Il suffit que tu évoques ce temps béni des fêtes dans les souterrains de Limoges pour avoir vingt ans de moins
Pour qu’une petite lumière s’allume dans tes yeux et qu’aujourd’hui encore tu réussisses à dire
           Tout ira bien
           Tout ira bien
           Tout ira bien


 

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