Annexe 1 : Journal de l'atelier d'écriture de Limoges

Dans le cadre de ma résidence d’écriture à la Maison des auteurs du Festival des Francophonies à Limoges en septembre et octobre 2012, je suis amené, en dehors de l’écriture de mon projet littéraire personnel, à animer un atelier d'écriture. En concertation avec Nadine Chausse, qui est en charge des auteurs aux Francophonies, il a été décidé que j’animerais un atelier pour des demandeurs d’asile. Nous avons établi un dossier avec plusieurs scénarios possibles en fonction des capacités des éventuels participants. J’ai décidé de garder une trace de cette expérience à travers un journal de bord.

Lundi 3 septembre 12 – 14h - Limoges 

Rencontre dans la cour de la Maison des auteurs avec Annette et Évelyne, deux représentantes du CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile), l’association avec qui je vais collaborer dans le cadre de l’atelier d’écriture. Je suis un peu anxieux. Le premier contact se passe pourtant plutôt bien. Nadine est là aussi, accompagnée de Cathy qui l’assiste dans ses activités. L’important est d’établir les bases de notre future collaboration et que je fasse connaissance par personnes interposées avec les participants de l’atelier. Ils ne sont que six. Quatre femmes (dont une mère et sa fille) et deux hommes. C’est finalement une bonne nouvelle. Car moins ils sont nombreux, plus je peux aller loin avec chacun. Le bémol, et il est de taille, c’est qu’aucun d’entre eux n’est de langue maternelle française. D’ailleurs aucun ne parle, ni n’écrit véritablement le français. Ils sont cinq russophones et un angolais qui parle donc le portugais. Pour les cinq russophones, je serai toujours accompagné par une traductrice et l’angolais est censé parler suffisamment bien le français pour suivre mes consignes d’écriture. Je suis un peu désarçonné même si j’essaie de ne pas le montrer et que je garde le sourire. C’est d’un atelier d’écriture dont il est question. Une traductrice, si douée soit-elle, ne rendra jamais pleinement dans une traduction instantanée les nuances de la langue. J’essaie de rester positif et me dis que je trouverai au fur et à mesure la meilleure manière d’intervenir. Par ailleurs, je m’informe des autres activités organisées par le CADA pour mieux m’intégrer.

Jeudi 6 septembre 12 – 14h 

J’ai décidé d’assister aux cours de français qui sont donnés au CADA pour rencontrer quelques-unes des personnes qui se sont inscrites à l’atelier d’écriture. C’est Annette que j’ai vue le lundi qui anime l’atelier. Elle a pris le soin de me préciser qu’elle n’est pas professeur. Qu’il s’agit surtout de cours de conversation pour aider les demandeurs d’asile à se débrouiller dans la vie de tous les jours. Je lui rappelle ce que j’ai déjà dit lundi. Je ne suis pas là pour juger. Mais juste pour observer. La majorité des participants aux cours sont une famille d’arméniens qui vivait à Moscou avant de venir en France. Deux, la mère et la fille, vont participer à l’atelier d’écriture. Il fait très chaud. La conversation est extrêmement poussive. C’est normal. En fonction des participants, il faut à chaque fois reprendre des choses très basiques. Plusieurs fois, j’ai envie de poser des questions. Mais je me tiens à ce que j’avais annoncé. Je me tais le plus possible.

Vendredi 7 septembre 12 – 9h 

Au CADA (photo : Evgeny Vovk-Zilbershteyn)
C’est le grand jour. Je suis extrêmement stressé avant d’arriver au CADA. Je devrais pourtant être habitué à ce type de moment. Je sais depuis le temps que je suis capable d’y faire face. Mais non, il faut toujours que je me mette dans des états pas possibles. Pour me rassurer, je me dis que c’est la preuve que je garde une certaine fraicheur dans mon approche. Qu’à chaque fois, c’est comme si c’était la première fois. Ce qu’on ne ferait pas pour faire passer la pilule. En attendant qu’ils arrivent tous, je relis plusieurs fois mes notes. Je vérifie si ce que j’ai préparé est clair ou pas. C’est bon. Ils sont là. Enfin il manque l’angolais. Mais Annette m’a prévenu que 9h du matin, c’est probablement trop tôt pour lui. Il arrivera plus tard. Je me lance. J’essaie de trouver le rythme avec la traductrice. Je me calme quand je me sens prêt à me lancer dans mes grandes phrases lyriques sur le métier d’écrivain. Élaborer des objectifs simples. Parler de différents exercices. D’une présentation du travail réalisé en fin de parcours.

 Oui. Tout le monde me suit. Parfait. Alors commençons. Non. Je voudrais encore préciser que vous allez probablement être amené à parler de votre vécu. De vos expériences. Je voudrais dire que pour moi, cela ne m’intéresse pas de savoir si ce que vous écrirez est vrai ou si c’est faux. Ce n’est pas important. Je ne suis ni éducateur, ni membre de l’administration. La seule chose qui est importante, c’est la littérature. La forme donnée à votre pensée sur le papier. La vérité, le mensonge, ce sont des notions très relatives. Je vous demanderai juste d’être sincère. D’accord ? Très bien. Alors vous allez dresser une liste, un inventaire des objets avec lesquels vous ou un autre (personne réelle ou imaginaire) êtes venu jusqu’en France. Je ne veux pas de phrases. Oui. Oui. Ça peut aussi être des pensées. L’exercice dure le temps que tout le monde ait fini sa liste. 

Je les regarde. Plusieurs ont l’air très perplexe.

Qu’est-ce qu’il veut ? Qu’on fasse une liste de course ? C’est n’importe quoi ? 

Panique pas. Panique pas. Tout va bien se passer. 

Je suis surtout inquiet quand je regarde mes deux voisines de droite, la mère et la fille d’origine arménienne. Il y a tout juste deux ou trois mots qui se suivent. Bon. Peut-être un peu plus. Mais pas beaucoup.

Ne réfléchissez pas. Laissez-vous allez. Vous verrez. C’est facile. 

Viens le moment où chacun lit son texte. D’abord une fois en entier. Puis de manière découpée avec la traduction en français. Je prends des notes pour faire un compte rendu.

Un sac avec un trou 
Une collection de monnaie ancienne dans un livre vert 
Mon mari 
Des crayons à papier achetés à Saint Petersburg 
Un dictionnaire en français 
Le vide à l’intérieur 
L’inquiétude 
Un bagage que j’appelle la petite Pologne 
75 dollars 
Un paquet de Winston acheté en Belgique 
Un numéro de téléphone 
L’espoir 
Les chansons d’Arménie 

Le deuxième exercice consiste à écrire une lettre à quelqu’un de précis et de lui décrire un événement, une rencontre liés à son arrivée en France. J’ai à peine fini d’énoncer la consigne qu’ils se ruent sur leurs stylos. Ouf. La lecture des lettres, ce sera pour la semaine prochaine. Les deux heures sont déjà passées.

 Jeudi 13 septembre 12 – 14h 

Deuxième cours de français. Il y a de nouvelles personnes. D’autres qui ne sont pas là. Je suis beaucoup plus attentif, investi que sur le cours précédent. Annette se sert une nouvelle fois de photos pour créer la discussion. Aujourd’hui des reproductions d’œuvres d’art présentes au Louvre. Un tableau de David sur le couronnement de Napoléon entraîne une longue discussion politique sur la question du tyran dont l’essentiel malheureusement se déroule en russe. Je crois que je vais devoir accepter de me trouver souvent dans une position d’étranger qui ne comprend rien à ce qu’on dit. Ma seule porte de salut, et elle est bien mince, est de tenter de me fier à l’expression sur les visages des gens pour décrypter le sens de leur conversation.

Vendredi 14 septembre 12 – 14h 

A la maison des auteurs (photo : Evgeny Vovk-Zilbershteyn)
 Je suis resté bloqué sur les horaires de la semaine précédente et la veille encore, j’étais persuadé que l’atelier aurait lieu ce matin à 9h. Aujourd’hui et pour toutes les prochaines séances de l’atelier (à l’exception d’une), nous sommes à la Maison des auteurs. J’ai aménagé la salle commune pour accueillir les participants. Ils arrivent avec plusieurs minutes de retard accompagnées d’Annette et de la traductrice. Nous commençons par régler le planning de travail jusqu’à la fin du mois d’octobre. En plus de trouver des créneaux correspondant à l'emploi du temps des participants, il faut aussi que la traductrice soit disponible. Cet après-midi par exemple, j’ai deux personnes en moins. Nous commençons effectivement à travailler à 14h30. C’est là que j’apprends qu’une des participantes doit partir à 15h car elle a un rendez-vous chez le dentiste. J’ai un soupir de découragement intérieur et je dis que ce n’est pas grave. Que je comprends.
Bref nous reprenons avec la lecture des différentes lettres écrites la semaine précédente. Je demande à chaque participant d’intervenir sur le travail des autres. Écrire, c’est aussi savoir lire un texte. Être capable d’en parler. Progressivement tout le monde s’y met. J’interviens toujours en dernier. Jamais en censeur. Mais plus pour préciser des points. Induire des pistes de travail. Je me sens déjà beaucoup plus à l’aise que la semaine précédente. Il y a quelques très belles parties dans ces textes, même s’ils partent un peu dans tous les sens. Je demande à chacun de reprendre ces textes pour la prochaine fois en les centrant. Comme je suis auteur de théâtre, je me dis qu’il est temps de passer à un exercice de dialogue. Je leur montre une photo extraite du film L’honneur perdu de Katharina Blum de Volker Schlöndorff et je leur demande dans un minimum de 15 répliques d’imaginer ce que les deux personnages sur la photo (Katharina et Ludwig) sont en train de se dire. Je sens bien que l’exercice est peut-être un peu trop difficile. D’ailleurs ils me le disent. Ce n’est pas grave. L’important, c’est d’essayer. Il reste à peine cinq minutes quand ils ont fini. Je demande malgré tout à entendre un des textes. Très vite, la traductrice est prise d’un fou rire qui va jusqu’aux larmes. D’ailleurs tout le monde rit de bon cœur. Je me retrouve un peu exclu.

Je crois que nous n’allons pas y arriver. Ce n’est pas grave. Nous reprendrons tout ça la semaine prochaine. Enfin pas la semaine prochaine, mais le lundi 24 à 10h. N’hésitez pas à retravailler vos textes d’ici là.

Lundi 24 septembre 12 – 10 h

LA FEMME - Est-ce qu’on peut aller au théâtre aujourd’hui ? 
L’HOMME - Non 
LA FEMME - Pourquoi ? J’ai acheté des billets. C’est un bon théâtre. 
L’HOMME - Qui joue ? 
LA FEMME - Les meilleurs comédiens du théâtre 
L’HOMME - Ah.

La femme s’est approchée de la fenêtre et elle a mis sa main sur l’épaule de l’homme. 

LA FEMME - Tu ne te sens pas bien ? 
L’HOMME - Non pourquoi tu penses comme ça ?
LA FEMME - Pourquoi tu refuses d’aller au théâtre ? Tu aimes le théâtre. Si tu refuses, il y a une autre raison. 
L’HOMME - Non. Tout va bien. 

Énervé, il repousse la main de la femme.

LA FEMME – Peut-être que tu attends quelqu’un. 
L’HOMME – Non. J’attends personne. Laisse-moi tranquille 
Il sort de la chambre. 
LA FEMME - Attends. Pourquoi tu parles comme ça ? 

Elle sort à son tour. 

La suite, c’est à nous de l’imaginer. Je n’aurais pas pensé à un dialogue sur le théâtre d’après cette photo de L’honneur perdu de Katharina Blum. C’est l’avantage d’écrire sans rien connaître de l’origine du support.
Il pleut aujourd’hui. Je ne sais pas si c’est la pluie, mais à 10h, il n’y a qu’une personne. A 10h05, Angelica, la traductrice arrive. Il faut attendre presque 10h20 pour avoir une deuxième participante. Je ne dirai pas que c’est déprimant. Mais dans ces moments-là, on se sent un peu inutile, le découragement nous guette. Et si ce que je propose n’est pas intéressant ? Et si ? Et si ? Quand j’ai travaillé avec des détenus en régime de semi-liberté, je devais faire face à leur inconstance, leurs abandons et surtout plus difficile, le fait que pour une grande partie d’entre eux, à la fin de leur peine, ils subissaient un renvoi dans leur pays d’origine. Nos vies ne sont pas les mêmes. Je ne peux pas leur demander d’avoir les mêmes exigences que moi.
 Je comprendrai plus tard qu’une des participantes a pu intégrer des cours de français intensifs à l’université. Un des autres participants a dû partir pour Paris pour une durée de trois ou quatre semaines afin de régler des difficultés. Je le regretterai. Même dans des textes sombres, il savait amener une pointe d’humour et de légèreté.
The show must go on.
Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, je leur demande de continuer les quatre premières répliques d’Ecorces, une pièce que j’ai écrite et qui a été lue au festival des Francophonies en 2010 dans le cadre de l’Imparfait du présent.

Une salle à manger. La table est dressée pour le repas. F1 et F2 sont assises. 

F1. – Je suis désolée pour ce matin. 
F2. – Mange pendant que c’est chaud. 
F1. – Je comprendrais si tu m’en voulais. 
F2. – Mange. 

Les suites proposées sont intéressantes, drôles, un peu cruelles. Il y a cette expression que j’aime beaucoup qui ressort : D’une mouche, tu fais un éléphant. Nous avançons. J’essaie de ne pas mettre trop de côté les anciens textes. Je redemande donc à chaque fois s’ils ont pu les retravailler. Quand c’est le cas, je les réentends. Par moment, c’est difficile, car le texte a pu perdre ce qu’il avait au début. Il faut trouver les mots pour donner l’élan nécessaire au travail, encourager, répéter que nous ne sommes pas à l’école, qu’il n’y a pas d’obligation de retravailler ses textes, mais que c’est bien quand même. Tout est une question d’équilibre, de barrière de langue à dépasser.

Vendredi 28 septembre 12 – 14h 

Nous sommes de retour au CADA aujourd’hui pour cause de début du Festival des Francophonies et de beaucoup de monde dans et autour de la Maison des auteurs. Toujours que deux participantes, mais pas les mêmes. Une seule personne a assisté à toutes les séances depuis le début. Tout va bien. Je n’oublie pas de sourire.
Nous continuons à travailler sur le dialogue théâtral. Après tout, c’est quand même dans ce domaine que je suis le plus compétent. Il y a un exercice de dialogue que j’ai pris le temps de murir. Je ne voulais pas le faire trop tôt. J’estimais qu’il devait y avoir un minimum de confiance entre nous pour que la parole soit libérée. Je leur ai demandé d’imaginer un dialogue imaginaire entre elle et Poutine. Au préalable, le lieu, le pourquoi de cette confrontation devaient être définis.
Un des deux textes me fait penser à du Matei Visniec. Je n’aime pas trop cet auteur, mais quand je dis ça, je le pense comme un compliment. Une femme est assise sur un banc et regarde les gens autour d’elle. Un homme vient s’asseoir et entame une conversation. Il fait l’apologie de tout ce qui les entoure. On comprend que l’homme, c’est Poutine et le parc, la Russie. La conversation est un peu absurde. Je pense à deux personnes dans un asile de fou dont une se prend ou est peut-être Poutine. C’est prometteur. Il faudrait aller plus loin. J’espère que nous allons y arriver.

 - Vous voyez. Ils marchent librement comme ils veulent, où ils veulent, avec qui ils veulent, quand ils veulent. Regardez là bas, il y en a un qui passe sur le gazon. 
- Oui. C’est vrai. Il marche. 

Mercredi 3 octobre 12 – 14h 

(photo : Pierrot Men)
C’est un après-midi assez particulier puisque nous allons visiter une exposition de photo dans le cadre du Festival des Francophonies. C’est la seule activité au programme du Festival à laquelle les participantes de l’atelier assistent. Toutes mes autres propositions ont reçu un refus poli. Là, comme c’est directement en lien avec l’atelier, c’est évidemment plus simple. Nous nous donnons rendez-vous au CADA où je leur explique alternativement en français et en anglais, la traductrice n’étant pas là, en quoi consiste l’exposition.

47, portraits d’insurgés 
une exposition pensée et écrite par Jean-Luc Raharimanana
photographies Pierrot Men 

Petit résumé rapide et amélioré de mon explication : La France, autoproclamée pays des droits de l’homme, a toujours mal à son passé colonial. En 1947, des malgaches qui cherchent à s’émanciper de la tutelle française sont très sévèrement réprimés par l’armée. Il y aura de très nombreux morts, des disparus. L’auteur Jean-Luc Raharimanana et le photographe Pierrot Men sont allés à la recherche des survivants de cette répression. Ils se retrouvent face à des personnes très âgées, entre 82 et 99 ans, qui témoignent par leur simple présence d’un passé honteux pour la France. Les photographies sont accompagnées de très beaux textes de Jean-Luc Raharimanana qui réactivent, mettent en forme certains des souvenirs des survivants.

Je demande à chacune des participantes à l'issue de la visite de choisir parmi toutes les photos une photo d’après laquelle elle écrira lors de la prochaine séance un texte qui en sera directement inspiré. C’est assez beau de se retrouver tous ensemble à visiter cette exposition. Évidemment je ne connais pas l’histoire personnel de chacune des participantes. C’est un choix de ma part. Mais je sens bien qu’il y a dans ces visages de personnes âgées quelque chose qui les touche. Quand elles ont toutes choisi leurs photos, je les prends moi-même en photo devant pour garder une trace.

Lundi 8 octobre 12 – 10h

A la maison des auteurs (photo : Evgeny Vovk-Zilbershteyn)
Il s’est passé quelque chose aujourd’hui. Enfin à chaque fois, si on veut bien être à l’écoute, il se passe quelque chose. Mais là, une des participantes a déjà écrit son texte concernant la photo qu’elle a choisi. C’est une personne dont je pressentais déjà qu’elle avait une plume, enfin un plaisir dans la recherche du mot juste. Dans les cours de conversation au CADA, elle a répété plusieurs fois qu’elle aime lire. Le défaut récurrent de ces textes que je lui ai signalé est qu’ils sont à chaque fois très courts comme si elle bloquait devant la plongée dans un espace plus vaste, une mise en danger de son écriture. Mais là, c’est à une véritable immersion à l’intérieur de la photo à laquelle nous avons droit. Le texte mélange le présent et le passé dans un style qui va de la première personne du singulier à la troisième. Angelica, notre traductrice, reconnaît que c’est un texte qui est difficile à traduire du fait de sa richesse sémantique et de sa composition. Nous prenons le temps qu’il faut. Je pose plusieurs fois des questions quand ce n’est pas clair. Il y a des expressions typiquement russes qui n’ont pas d’équivalent en français.
Les deux autres participantes sont touchées par ce texte. Elles disent les émotions qu’elles ont pu ressentir.
Nous sommes là vraiment au cœur de la difficulté d’animer un atelier d’écriture quand l’animateur n’écrit pas dans la même langue que les participants. Un texte comme celui-là, qui est presque abouti, demande d’être amélioré sur des petits détails. C’est très difficile à accomplir par le biais d’une traduction non littéraire. On tâtonne. On lance des pistes. On est sûr de rien. Je prends la décision pour la semaine prochaine d’amener une version du texte en français retravaillé par mes soins, une version qui tentera de respecter l’esprit du texte original, mais travaillant sur la langue française.
Angelica, la traductrice me dit que ce sera beaucoup plus facile à traduire pour elle. L’auteur du texte semble contente de cette démarche. Pour moi, c’est une des manières que je vois d’avancer. On verra bien.
À côté de ça, les textes des deux autres participantes écrits dans le temps même de l’atelier sont forcément moins intéressants. Mais ce n’est pas si important.

Lundi 15 octobre 12 – 10h 

Un de mes souhaits lors de la mise en place de cet atelier était de ne pas travailler seulement sur l’écriture. Mais aussi sur la lecture. Pour moi, ce sont deux choses indissociables. Probablement parce que je retravaille mes propres textes à voix haute. Comme je l’ai répété plusieurs fois au cours de nos différents rendez-vous, le son est tout aussi important que le sens. Je dirais même que le son contient le sens. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas forcément besoin de tout comprendre quand on me lit un texte si j’ai la sensation que celui qui le lit en a parfaitement intégré le sens et laisse la possibilité aux mots de respirer par eux-mêmes. L’essentiel de la matinée sera donc consacré à ce travail de lecture à haute voix. Personnellement, je suis content de pouvoir amener quelques clés pour que cela se passe bien.
Nous avons une présentation du travail mené en atelier le 25 et j’ai souhaité que cette présentation soit en bilingue avec lecture des textes en russe et en français. Je précise d’emblée qu’il ne s’agit pas de transformer qui que ce soit en comédien. Progressivement, nous obtenons des résultats intéressants. Il y a plusieurs fous rires notamment liés au fait que je demande de regarder les autres pendant la lecture, de faire respirer le texte. Pour autant, je ne sais pas si avec la panique, les quelques trucs que j’ai glissés ici et là seront utiles le 25. Nous verrons bien. Je garde le sentiment que ces fameux trucs ne seront jamais perdus et peuvent être repris à de nombreuses occasions. En particulier pour tous ces rendez-vous administratifs qui jalonnent la vie des demandeurs d’asile.

Lundi 22 octobre 12 – 10h 

A la maison des auteurs (photo : Evgeny Vovk-Zilbershteyn)
Même si j’ai demandé à chacun d’être vraiment à l’heure ce matin, sensation de courir après le temps, de bâcler un peu le travail. Autant dire que je ne suis pas très content de moi, même si je ne vois pas comment nous aurions pu faire autrement. C’est finalement toujours la même chose quand un atelier est organisé, tant qu’il n’est pas question de présenter ce qui a été fait, on peut se concentrer sur le travail. Mais quand vient le moment de cette présentation, les priorités changent. En clair, la matinée va se transformer en séance de lecture, de traduction et de commentaires menés au pas de charge. Lors de la précédente rencontre, j’ai demandé aux trois participantes restantes de choisir deux textes en plus du dialogue avec Poutine pour qu’ils soient lus pour la présentation du 25. Cette demande était liée aussi à la nécessité de retravailler les différents textes en fonction de certaines remarques qui avaient pu être faites.
Ma grande satisfaction, en dehors de ce qu’on peut penser des qualités littéraires des différents textes, c’est que ce travail a été fait. Deux des textes liés à l’exposition de photo 47, portraits d’insurgés qui étaient jusque là de simples illustrations des photos sont devenus des textes avec une narration. Le choix aussi de reprendre le deuxième exercice de l’atelier, la lettre adressée à quelqu’un resté au pays a donné des textes beaucoup plus centrés. Alors, pourquoi se plaindre ? Tout simplement parce que pressé par le temps, les lectures de chaque texte étaient beaucoup trop rapides, sans aucun des acquis de la semaine précédente et qu’à part quelques remarques sur des points très précis, je n’ai pas pu développer un véritable commentaire des « nouveaux textes », ni même inviter les participants à donner leur avis.
Il reste une inconnue pour cette présentation du 25. Comme j’en avais donné la possibilité, une des participantes a souhaité écrire un nouveau texte, en dehors de toute consigne. Mais sanctionné par la pendule, je n’ai pas pu en prendre connaissance. Ce sera donc une surprise absolue. A Angelica, la traductrice de nous en rendre une copie en français d’ici là.

Vendredi 26 octobre 12 – 18h 

A la maison des auteurs (photo : Evgeny Vovk-Zilbershteyn)
La présentation est à 18h30 à la Maison des auteurs. Mais pour être sûr d’avoir tout le monde à l’heure, je leur ai demandé d’être là à 18h. Dans les jours qui ont précédé cette présentation, j’ai remis au propre tous les textes. C’est-à-dire que partant de la traduction non littéraire d’Angelica, j’ai tenté tout en respectant ce que j’avais compris du souffle de chaque auteur de leur donner une forme qui passe en français. A la traduction souvent au mot à mot, j’ai trouvé des équivalents de sens, d’image. C’est un exercice passionnant, car il demande d’essayer de comprendre la pensée de l’auteur et non pas de s’y substituer.
Pour la lecture des textes, j’ai défini un ordre qui correspond plus ou moins à leurs dates d’écriture. J’explique brièvement aux participantes le déroulement de la soirée et leur rappelle quelques consignes simples pour la lecture. Quand 18h30 arrive, il y a malheureusement assez peu de monde. Je suis un peu déçu, non pas pour moi, mais pour les auteurs-lectrices. J’aurais bien aimé qu’elles puissent se confronter à un public un peu plus large.
Finalement nous commençons avec plusieurs minutes de retard. Je m’occupe de la présentation de l’atelier et de la lecture des textes en français. J’ai tenu à ce qu’Angelica de son côté traduise tout en russe comme pour le reste de l’atelier. C’est important pour moi de continuer dans ce rapport aux deux langues. A mon grand étonnement et surtout à ma grande joie, les trois participantes lisent extrêmement bien, en particulier Nataliya qui a parfaitement retenu toutes mes consignes. C’est vraiment très fort et très beau. Il y a quelque chose de touchant et les spectateurs présents sont extrêmement attentifs aux lectures en russe. On en revient à cette idée qui me tient à cœur que le son est capable de contenir le sens.
A l’issue de la présentation, nous partageons un apéritif avec pour partie des cakes salés préparés dans le cadre de l’atelier cuisine du CADA. C'est aussi évidemment l'occasion d'échanger, poursuivre la discussion dans un cadre plus informel.

Lundi 29 octobre 12 – 10h 

A la maison des auteurs (photo : Evgeny Vovk-Zilbershteyn)
C’est notre dernier rendez-vous. Angelica, la traductrice, nous a amené des gâteaux qu’elle a préparés pour l’occasion. J’oublie de demander comment ils s’appellent. Ils ressemblent de manière frappante à des pêches. Pour parfaire leur décoration, Angelica leur a adjoint des feuilles d’orange. Elle me répète à plusieurs reprises qu’il ne faut pas les manger.
S’il est important de bien commencer un atelier, il est aussi important de bien le finir. De donner la parole à chacune pour qu’elles puissent s’exprimer sur ces presque deux mois passés ensemble. J’axe le bilan autour de trois axes, la soirée de présentation du 26, un retour sur les textes qui n’avaient pas pu être commentés jusque-là et un bilan global de l’atelier.
Malgré mes efforts pour que ressortent des points négatifs, la seule critique est à l’encontre de la durée de l’atelier. Toutes regrettent qu’il ait été trop court. Je ne peux qu’abonder dans leur sens. Car j’ai moi-même eu l’impression de ne pas avoir été assez loin dans ce qui était possible de faire. Mais nous ne reviendrons pas en arrière. Angelica est une traductrice très demandée, car elle est une des rares qui capable de traduire aussi l’arménien, en plus du russe. Son emploi du temps nous a donc contraints à limiter les séances et leur durée. Juste une heure de plus par séance aurait pourtant été bénéfique. Ce qui ressort le plus de ce bilan, c’est que l’atelier a été vécu comme un moment hors du temps, hors des soucis de la vie quotidienne, un espace pour respirer et penser à autre chose. C’est vrai que j’ai senti au fur et à mesure l’alchimie entre les participantes. Elles prenaient de plus en plus de plaisir à se voir. C’est probablement le plus important et cela renforce mon idée que n’importe quelle pratique artistique peut avoir un intérêt social non négligeable. Malgré ma relative déception de n’avoir eu que trois participantes régulières, je dois dire que je suis très heureux d’avoir pu mener à bien cette expérience. Comme je l’affirmais au commencement, si elles ont peut-être appris de moi, j'ai aussi beaucoup appris d'elles.

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