mardi 15 novembre 2011

La porte

Texte de commande d'après le photo d'une porte en Chine. 

Te voilà de nouveau devant la porte
          Disons plutôt
Te voilà devant sa reproduction numérique sur l'écran de ton ordinateur
Dix millions de pixels
Qui peu à peu s'effaceront
Disparaitront

Quatre ans déjà

Oui
Il y a quatre ans
Tu lui faisais face
Vous vous faisiez face
Elle et toi
Toi et elle
L'amour de ta vie
C'est comme ça que tu parlais d'elle
L'amour de ta vie
Quelle stupidité
L'amour de ta vie
Un rêve pour adolescent
L'amour de ta vie
C'était avant que tout s'arrête
Se brise
Vous aviez pourtant tout prévu
Imaginé
Tracé
Economisé l'argent
Fouillé sur internet
Consulté des forums
Posé des questions
Lu des réponses
Etabli des amitiés virtuelles
Enfin tout était prêt pour le grand voyage
La porte
La recherche de la porte
La fameuse porte
La porte mythique

C'est elle qui avait commencé
Vous étiez dans la rue
Vous marchiez sans but
Profitant d'un bref soleil d'automne
Vos mains amoureusement enlacées
Et là, elle s'est tournée vers toi
          On m'a parlé d'une porte
          Là-bas
          De l'autre côté du monde
          Une porte
          Qui change la vie
          Il suffit de la voir
          De poser la main sur elle
          Et ta vie s'en trouve changée
          Qu'est-ce que tu en penses
Ce que tu en pensais
Tu n'as pas réfléchi
Tu as dit oui
Oui au voyage
Oui à la porte
Oui à la vie changée
C'était un temps où tu aurais dit oui à n'importe quoi
N'importe quoi pourvu que ce soit elle qui te le demande
          Marions-nous
          Oui
          Faisons des enfants
          Oui
Alors pourquoi pas une porte
          Qu'est-ce que je risque
          Ce n'est qu'une porte
          Une simple porte
          Il ne peut rien m'arriver
          Il ne peut rien nous arriver
Tu aurais dû te méfier
Elle parlait de la porte
Avec cette lumière si particulière dans les yeux
On aurait dit une enfant
L'enthousiasme d'une enfant
Toi qui ne sais jamais t'enthousiasmer, ça t'a toujours perdu
Incapable de dire non à l'enthousiasme
Et puis tu as toujours aimé voyager

Alors te voilà dans l'avion
Tu souris béatement
Elle sourit béatement
Quand tu poses le pied de l'autre côté du monde, tu sembles flotter
Il fait chaud
Tu ne t'attendais pas à ce qu'il fasse aussi chaud
Tu vacilles
Autour de toi, de l'agitation
Des voix qu'on ne comprend pas
Des bruits
Beaucoup de bruit
          On y va
Tu marches
Sors de l'aéroport
Vous avez tout prévu
Le taxi
L'hôtel
Vous avez tout prévu
Tu es silencieux
Elle n'arrête pas de parler
Elle est enthousiaste pour deux
          Tout va bien
L'hôtel
Il faut dormir
Tu n'y arrives pas
Tu te lèves
Regarde dehors
La grisaille
Le temps qui passe
Il faut partir
          La porte nous attend
C'est ce qu'elle te dit
          La porte nous attend
Tu te laisses guider
Le voyage recommence
Le train
Le bus
Marcher
Encore le bus
Un taxi
Encore marcher
Plusieurs jours
Plusieurs nuits
Tu ne sais pas
Incapable de faire le compte
          Ta vie va changer
          Tu vas voir la porte et ta vie va changer
Tu pourrais sourire
Tu pourrais mais tu n'y arrives pas
A chaque kilomètre parcouru, tu te perds un peu plus
Devenu aveugle, tu prends des photos
Ce que tu ne vois pas, ton appareil le voit pour toi
          Nous arrivons bientôt
          Ecoute ce silence
Si tu en avais la force, tu dirais
          Quelle connerie
          Non mais quelle connerie
          Ecouter le silence
Mais bien sûr, tu te tais
Il y a plusieurs jours que tu te tais
Elle court
Te lâche
T'abandonne
Loin devant toi
Quand enfin tu la rejoins
Quand enfin la porte se dresse devant toi
Cette porte avec ses bleus
Ses marques
Ses traces
Quand enfin vous vous trouvez devant la porte, les mots sortent de ta bouche
Tu ne sais pas pourquoi
Tu ne sais pas comment
Tu n'aurais jamais pensé avoir autant d'énergie en toi
Autant d'imagination pour détruire ce qui a été patiemment construit
Ce que tu as dit, tu l'as oublié
Ce qu'elle t'a répondu, tu l'as oublié

Alors voilà
Aujourd'hui
Quatre ans plus tard
C'est tout ce qui te reste de ce voyage
Une photo
Dix millions de pixels qui peu à peu s'effaceront
Et la certitude que ta vie a changé

lundi 26 septembre 2011

Je me méfie de l'homme occidental aux Francophonies à Limoges

Reprise de Je me méfie de l'homme occidental (encore plus quand il est de gauche) dans le cadre du Festival de Francophonies à Limoges les 7 et 8 octobre 2011 après sa création en mars 2011 au Théâtre Saint Gervais Genève.

Sur le spectacle :
« La nouvelle pièce de Jérôme Richer ne laisse rien au hasard. L’ambition ? Explorer, une fois de plus, un lien inédit engageant scène, spectateur et histoire contemporaine. Le but ? Laisser le public avec des questions plein la tête et le cœur tout chose. Soit un mélange de douceur et de politique, d’humain et d’inhumain. Au final, certes sincère, la pièce n’est pas aussi naïve qu’il n’y paraît vu l’habileté à bluffer le public en lui donnant par moments l’impression d’être pris en otage ou en le gratifiant de monologues parfaitement poétiques – servie en cela par une énergique et versatile Compagnie des Ombres. » Nicola Demarchi (11 mars 11)
« Une nouvelle fois, Jérôme Richer part à l’assaut des faux-semblants, en constatant notamment l’impuissance réitérée du théâtre. C’est très réussi, d’une sincérité un peu agacée et la distribution est excellente. » Lionel Chiuch – Tribune de Genève (15 mars 11)
« Comment faire un spectacle politique sans tomber dans le message vu et digéré ? A Saint-Gervais, à Genève, Jérôme Richer répond avec un spectacle morcelé, intelligent. » Marie-Pierre Genecand (18 mars 11)

Extrait : L'arabe
Ils sont trois sur scène. Deux hommes et une femme.

Je suis l’arabe
Elle répète en arabe.
Pour mes parents, je suis le fils prodige
Elle répète en arabe.
Du moins, c’est ce que dit ma compagne
Je n’aime pas quand elle dit ça
Ça m’énerve quand elle dit ça
Ma compagne est grande et blonde
Elle répète en arabe.
On dirait une allemande
Je lui dis souvent que c’est une sale nazie
Elle n’aime pas quand je dis ça
Ça l’énerve quand je dis ça
Ma compagne est cent pour cent suisse
Un pur produit de la campagne
Elevée au lait fermier et au fromage de chèvre
Un arabe avec une grande blonde, ça fait réagir
Un ami insinue que je l’aurais achetée
Echangée contre deux ou trois chameaux
Qu’il y a une histoire louche là-dessous
Le complexe de l’ancien colonisé
Elle répète en arabe.
L’attirance pour la femme blanche.
Elle répète en arabe.
Ça ne m’énerve pas qu’il dise ça
Je suis l’arabe
Elle répète en arabe.
Le bougnoule
Elle répète en arabe.
Le bicot
Elle répète en arabe.
Le melon
Elle répète en arabe.
Le gris
Elle répète en arabe.
Etc, etc.
Je ne suis pas musulman
Ni catholique
Ni protestant
Ni bouddhiste
Ni scientologue
Ni raélien
Ni témoin de Jéhovah
Je me définirais comme une personne rationnelle
Les gens sont toujours étonnés de rencontrer un arabe rationnel
Je ne crois pas en des lendemains qui chantent
En une évolution positive de l’humanité
Pour tout dire, je ne crois en rien
Je suis celui qui se fait contrôler dans les couloirs du métro
Qu’on arrête à la douane
Qu’on regarde de travers dans les magasins
A qui on refuse l’entrée en boite de nuit
Je dis
A qui on refuse l’entrée en boite de nuit
Mais pour ne rien vous cacher, je ne vais jamais en boite de nuit
Je n’écoute pas de hip-hop
Je ne m’habille pas en mode racaille
Je ne fais pas de trafic de stup
J’apprécie le vin rouge
Elle répète en arabe.
J’aime cuisiner
Je n’ai pas demandé à ma compagne de revêtir une burqa
Je suis l’arabe qu’on aime bien
Elle répète en arabe.
Je suis l’arabe gentil et plutôt intelligent
Quand j’ai peur, si j’ai peur
Quand j’angoisse, si j’angoisse
Je fais en sorte de le garder pour moi
Quand je suis sur scène, je ne me pose pas la question de la couleur de ma peau
D’autres se la posent pour moi
L’auteur
Elle répète en arabe.
Le metteur en scène
Elle répète en arabe.
Les autres comédiens
Elle répète en arabe.
Les spectateurs
Elle répète en arabe.
J’ai été engagé sur ce spectacle pour la couleur de ma peau
Je suis celui qui est différent
Je suis la caution ethnique
Elle répète en arabe.
Le discours sur les minorités visibles ne m’intéresse pas
Je ne suis pas sur scène pour prononcer de grandes phrases
Pour vous appeler à plus d’ouverture d’esprit
Je ne milite dans aucun parti politique
Je ne suis le défenseur d’aucune cause
Ça ne m’empêche pas d’avoir des opinions
De voter quand j’en ai l’occasion
Je n’ai pas écrit le texte que je suis en train de jouer
Il est basé sur ma vie mais il ne dit pas qui je suis
Je ne suis pas occidental
Elle répète en arabe.
Je ne suis pas africain
Elle répète en arabe.
Je suis un miroir sur lequel projeter vos fantasmes

samedi 24 septembre 2011

Naissance de la violence au Luxembourg

C'est un moment émouvant pour un auteur d'apprendre qu'un de ses textes aura droit à une deuxième vie sur scène. C'est ce qui est en train de m'arriver avec Naissance de la Violence (Une histoire d'amour), prix de la Société suisse des auteurs 2006, que j'ai créé en janvier 2007 à la Grange de Dorigny à Lausanne, avant des représentations à Genève et Neuchâtel. Une nouvelle production voit le jour au Luxembourg au Théâtre du Centaure, dans une mise en scène de Martin Engler.

Un homme, seul, dans un espace clos, est visité par une apparition – celle de sa femme abattue quelques années auparavant lors d’un affrontement avec la police. Ensemble, ils revisitent les différentes étapes de leur engagement dans la lutte armée au cœur des années 1970. Naissance de la violence est inspirée des vies de Renato Curcio et Margherita Cagol, membres fondateurs des Brigades rouges.


DISTRIBUTION
Texte : Jérôme Richer
Avec : Sophie Langevin et Steve Karier
Mise en scène : Martin Engler
Assistant à la mise en scène : Jérôme Konen
Scénographie : Diane Heirend

Coproduction : Théâtre du Centaure et Fundamental A.s.b.l.
Avec le soutien de : Ministère de la Culture, Fonds Culturel National et Ville de Luxembourg
Plus d'informations : Théâtre du Centaure ou Fundamental


DATES DE REPRÉSENTATION
Vendredi, 30 septembre à 20h00
Samedi, 1er octobre à 20h00
Mardi, 4 octobre à 20h00
Vendredi, 7 octobre à 20h00
Samedi, 8 octobre à 20h00
Dimanche, 9 octobre à 18h30
Mardi, 11 octobre à 20h00
Jeudi, 13 octobre à 18h30
Samedi, 15 octobre à 20h00
Lundi, 7 novembre à 20h00
Vendredi, 11 novembre à 20h00
Samedi, 12 novembre à 20h00
Dimanche, 13 novembre à 18h30

lundi 29 août 2011

Publications

L'essai 22 regards sur la culture vient de paraître aux éditions Les petites lessiveries dans lequel une version inédite de mon texte L'auteur est incluse. Un très bel objet avec les contributions de 10 auteurs membres des EAT-Suisse (Ecrivains associés du théâtre) et de magnifiques illustrations.

En début d'année, est aussi paru Anne Bisang à la Comédie de Genève : l'obsession du printemps aux éditions de l'Entretemps dans lequel plusieurs de mes textes courts sont inclus dont Le vieux monsieur.

jeudi 23 juin 2011

Lecture des textes de l'atelier Textes-en-Scènes le 25 juin au Poche

C'est avec une grande joie que je vous annonce la présentation d'extraits de ma dernière pièce Le deuxième homme écrite dans le cadre de l'atelier Textes-en-Scènes le samedi 25 juin au Poche à Genève.
Une belle soirée en perspective en compagnie de mes trois camarades d'écriture Antoinette Rychner, Wolfram Höll et Dominique Ziegler.

Textes en Scènes se renouvelle

Encourager l’écriture théâtrale romande en offrant tous les deux ans un accompagnement de longue durée à des auteurs écrivant pour le théâtre: cet objectif premier guide TEXTES→en→SCÈNES depuis sa création en 2004. Un changement de taille est cependant intervenu pour la version 2010 de l’atelier. Au lieu d’avoir un seul dramaturge commun, les auteurs ont cette fois bénéficié d’un interlocuteur personnel qu’ils se sont choisis. Chaque projet est aussi parrainé par un théâtre ou une compagnie romande. C’est donc un accompagnement individualisé, renforcé, en lien serré avec la profession, qui a nourri les quatre projets de cette édition, développés de septembre dernier à avril de cette année.
Les organisateurs de TEXTES→en→SCÈNES sont heureux pour les auteurs lauréats qu’ils aient su convaincre des accompagnants de la qualité de Daniel Danis, Philippe Minyana, Coline Serreau et Gérard Watkins. Ils sont aussi très satisfaits du parrainage du Théâtre Vidy-Lausanne, du Théâtre Le Poche Genève, du Théâtre Saint-Gervais Genève et de la Compagnie des Ombres, Genève.
Quatre sessions de travail collectif, organisées au sein des théâtres parrains, ont complété ce dispositif. Les auteurs les ont généreusement mises à profit pour s’entraider.
Deux de ces sessions ont aussi permis de leur proposer un savoir en dramaturgie délivré par Danielle Chaperon, professeur à l’Université de Lausanne.

Pierre-Louis Chantre
Chef de projet

Antoinette et Wolfram au Poche lors d'une session de travail

PROGRAMME

16h30 Accueil

17h Intimité data storage
d’Antoinette Rychner
Conversation avec Gérard Watkins

18h Erratiques
de Wolfram Höll
Conversation avec Daniel Danis

18h45 Apéritif et buffet

20h15 ÉCRIRE LE THÉÂTRE
Daniel Danis,
Philippe Minyana,
Gérard Watkins
avec les auteurs de
TEXTES→en→SCÈNES
Animation Pierre-Louis Chantre

21h Le deuxième homme
(ou avant que tout s’effondre)
de Jérôme Richer
Conversation avec Philippe Minyana

21h45 Patria grande
(Sainte Ungrud des abattoirs)
de Dominique Ziegler

lundi 23 mai 2011

La confrontation

Un homme dit à sa femme : Bientôt je te tuerai. Après viendra mon tour. Et à la fin de la pièce, il le fait. Entre temps, nous sommes plongés dans le quotidien faussement banal d’une famille, les disputes entre la fille ainée et le fils, la femme qui telle une Pénélope moderne tricote un pull pour son mari pour le jour où il la tuera. L’essentiel de la pièce repose sur le silence de la femme. Elle est celle qui choisit de ne rien dire. Le spectateur, lui est placé en situation de témoin impuissant du drame en cours.

C'est en quelques lignes le résume de ma dernière pièce Le deuxième homme que je suis en train de terminer d'écrire. En voici la troisième scène :

Une chambre d’hôtel.
LA FEMME est en culotte. Elle fume.
LE DEUXIEME HOMME est assis sur le lit.

LE DEUXIEME HOMME. – Pourquoi tu fumes toujours après l’amour ?
LA FEMME. – Elle n’a aucun sens ta question.
LE DEUXIEME HOMME. – Tu as joui ?
LA FEMME. – Tu devrais le savoir.
LE DEUXIEME HOMME. – Je ne comprendrai jamais.
LA FEMME. – Quoi ?
LE DEUXIEME HOMME. – Le plaisir chez la femme. Comment ça fonctionne.
LA FEMME. – A quoi ça sert de comprendre ?
LE DEUXIEME HOMME. – Ta cendre.
LA FEMME. – Quoi ?
LE DEUXIEME HOMME. – Elle va tomber.

LA FEMME va écraser sa cigarette dans le cendrier posé sur la table de nuit.
LE DEUXIEME HOMME en profite pour lui toucher les seins.

LA FEMME. – Pourquoi faut-il toujours que vous fassiez ça ?
LE DEUXIEME HOMME. – Quoi ?
LA FEMME. – Nous toucher les seins ou les fesses quand nous faisons autre chose.
LE DEUXIEME HOMME. – Approche.
LA FEMME. – Je n’ai pas envie.
LE DEUXIEME HOMME. – Je les trouve beaux.
LA FEMME. – Quoi ?
LE DEUXIEME HOMME. – Tes seins.
LA FEMME. – Passe-moi une cigarette.
LE DEUXIEME HOMME. – Tu fumes trop.
LA FEMME. – Je suis fatiguée.
LE DEUXIEME HOMME. – Je peux faire quelque chose ?
LA FEMME. – Tu es gentil.

Elle s’allume une cigarette. Ses mains tremblent légèrement.
LE DEUXIEME HOMME s’allume aussi une cigarette.

LE DEUXIEME HOMME. – C’est un peu ridicule nous deux en train de fumer.

Ils fument en silence.
LA FEMME laisse tomber sa cigarette.

LA FEMME. – Merde.
LE DEUXIEME HOMME. – J’aime quand tu viens sur moi. Te regarder bouger. Tu es belle quand tu te laisses aller.
LA FEMME. – Merci.
LE DEUXIEME HOMME. – Tu veux en parler ?
LA FEMME. – De quoi ?
LE DEUXIEME HOMME. – Ce qu’il a dit.
LA FEMME. – Non.
LE DEUXIEME HOMME. – Tu en es sûre ?
LA FEMME. – Et toi, tu veux en parler ?
LE DEUXIEME HOMME. – Un homme et une femme sont morts dans l’incendie d’un hôtel. Personne ne savait pourquoi ils étaient là jusqu’à ce qu’on comprenne qu’ils couchaient ensemble. Tu imagines le drame pour les familles ? Apprendre d’un seul coup la mort de son conjoint et son infidélité.
LA FEMME. – Pourquoi tu me racontes ça ?
LE DEUXIEME HOMME. – C’est quelque chose que j’ai lu dans le journal ce matin.
LA FEMME. – Pourquoi tu me racontes ça ?
LE DEUXIEME HOMME. – Tu es un peu pâle. Tu ne dors pas assez. Tu devrais prendre soin de toi.


LA FEMME tousse.

LE DEUXIEME HOMME. – Qu’est-ce que je disais ? Ces saloperies de clopes finiront par nous tuer.
LA FEMME. – Si seulement.
LE DEUXIEME HOMME. – Qu’est-ce que tu as dit ?
LA FEMME. – Rien.
LE DEUXIEME HOMME. – J’ai pourtant cru.
LA FEMME. – Tu as rêvé.
LE DEUXIEME HOMME. – Tu crois ?
LA FEMME. – Oui.
LE DEUXIEME HOMME. – Viens t’allonger.
LA FEMME. – Je n’ai pas envie.
LE DEUXIEME HOMME. – Je mets le réveil de mon téléphone.
LA FEMME. – Arrête.

Elle commence à s’habiller. Elle le sera complètement à la fin de la scène.

LE DEUXIEME HOMME. – Et si tu divorçais ?
LA FEMME. – Et ensuite ?
LE DEUXIEME HOMME. – Nous habiterions ensemble.
LA FEMME. – Où ça ?
LE DEUXIEME HOMME. – Je ne sais pas. N’importe où.
LA FEMME. – Et après ?
LE DEUXIEME HOMME. – Quoi après ?
LA FEMME. – Notre vie, comment elle sera ?
LE DEUXIEME HOMME. – Nous serons heureux.
LA FEMME. – Tu ne l’es pas aujourd’hui ?
LE DEUXIEME HOMME. – Je le serai encore plus.
LA FEMME. – Et les enfants ?
LE DEUXIEME HOMME. – Ils habiteront avec nous.
LA FEMME. – Ça ne sera pas facile.
LE DEUXIEME HOMME. – Ça ne me fait pas peur.
LA FEMME. – Tu as pensé à tout.
LE DEUXIEME HOMME. – Non.
LA FEMME. – Et lui ?
LE DEUXIEME HOMME. – On ne choisit pas de tomber amoureux.
LA FEMME. – Parce que tu es amoureux ?
LE DEUXIEME HOMME. – Pourquoi es-tu si dure ?
LA FEMME. – Je ne te demande rien. Que tu me baises une ou deux fois par semaine. Et si possible que tu me fasses jouir. Si tu n’y parviens pas, ce n’est pas grave. Une ou deux gentillesses et c’est oublié. Je ne te reproche rien. Cette situation me convient. Alors ne me demande pas, s’il te plait, de croire que nous vivrons ensemble. Tôt ou tard, notre relation prendra fin. Parce que nous serons lassés. Parce que ça ne marchera plus. Parce que tu en voudras une plus jeune. Parce que c’est déjà trop tard. Excuse-moi. Il faut que j’aille faire des courses. Le frigo est vide à la maison.

Elle sort.
LE DEUXIEME HOMME tire rageusement sur sa cigarette avant de s’apercevoir qu’elle est éteinte.

jeudi 3 mars 2011

Lecture publique de Nouveau monde

Une première version de Nouveau monde, ma pièce sur le monde ouvrier, écrite dans le cadre de ma résidence d'auteur à la Comédie de Genève au cours de la saison 2009-2010 sera lu à la Comédie le 19 mars au cours de la manifestation Matières inflammables :

Deux jours durant, la Comédie fait la part belle aux écritures d’aujourd’hui. Cinq textes inédits seront lus en présence de leurs auteurs.
Ces uppercuts poétiques font valser les convenances dans un festin de tabous, de non-dits, d’humour noir et de noir tout court. La pornographie du pouvoir, le monde ouvrier, le sexe et la religion, l’homosexualité et ses coming out improbables, l’engagement armé et ses dérives seront au programme.
Le cycle de lectures s’achèvera par un voyage musical, avec Les Paysages d’exil. Ce récital de chants et de poèmes de Bertolt Brecht, mis en musique par Hanns Eisler, sera interprété par Armen Godel, accompagné au piano par Sylviane Baillif-Beux.


Matières inflammables s’inscrit dans un projet européen de circulation de textes et d’auteurs soutenu par la Comédie : Corps de textes (www.corpsdetextes.com)

Textes lus par Céline Bolomey, Julie Cloux, Anne-Marie Delbart, Julien George et Jean-Louis Johannides
Textes Marine Bachelot (France), Loredana Bianconi (Belgique), Mickael de Oliveira (Portugal), Manon Pulver (Suisse) et Jérôme Richer (Suisse)
Mise en lecture Anne Bisang et Jérôme Richer

Programme
vendredi 18 mars
19h Il a livré ton bien à ceux qui meurent de Mickael de Oliveira
20h Artemisia vulgaris de Marine Bachelot

samedi 19 mars
16h30 Goûter offert, aux saveurs d’Apéro’sfair
17h Nouveau monde de Jérôme Richer
18h pause
18h30 L’Embrasement de Loredana Bianconi, réalisatrice de Do You Remember Revolution
19h30 L’Inconductibilité du blanc d’œuf battu de Manon Pulver

Entrée libre

jeudi 3 février 2011

Bourse d'aide à l'écriture

Je viens de recevoir une bourse d'aide à l'écriture de l'association Beaumarchais (affiliée à la SACD en France) pour mon projet Le deuxième homme (qui s'intitulait avant Mascarade). Cette aide ouvre la possibilité, par la suite, d'obtenir des aides à la production et à la publication de la pièce.
Par ailleurs en accord avec mon accompagnant Philippe Minyana, dans le cadre de Textes-en-Scènes (Cf : message du 28 juin), nous avons décidé que ce serait ce texte, et non pas F., qui serait développé dans le cadre de l'atelier. C'est donc doublement une bonne nouvelle pour ce texte, centré sur la famille, qui marque une étape importante dans l'évolution de mon travail d'écriture.

lundi 24 janvier 2011

La révolution par le feu

C'est un sentiment très étrange quand la réalité finit par rejoindre la fiction. Dans Katharina, j'ai écrit un passage dans lequel je mets en avant le fait, que selon moi, dans la configuration actuelle de notre société, la personne qui s'immole en signe de protestation est le plus grand des révolutionnaires. L'évolution de la situation politique en Tunisie et dans d'autres pays du Maghreb semble me donner raison. Le suicide comme arme de combat.

J’ai imaginé l’histoire d’un homme
Une autre version de moi même
Qui entrerait en résistance
Il commencerait par échafauder différents scénarios de lutte armée
D’abord en groupe
Puis finalement seul
Plastiquer le siège de l’UBS
Foutre le feu à toutes les Migros
Enlever le patron de Rolex et le séquestrer dans une prison du peuple
Pour se rabattre sur une action encore plus spectaculaire et radicale
D’abord convoquer les médias
Télévision
Radio
Presse écrite
Lire une déclaration solennelle
Et s’immoler en direct
J’ai bien dit
          S’immoler en direct
L’homme qui s’immole en signe de protestation est un révolutionnaire
L’homme qui s’immole en direct au téléjournal est le plus grand des révolutionnaires
Que ceux qui ne sont pas d’accord avec moi s’immolent maintenant
Un acte inoubliable
Magnifique
Qui marquerait à jamais l’histoire du théâtre

samedi 8 janvier 2011

L'ennui

Extrait de Je me méfie de l'homme occidental (encore plus quand il est de gauche) qui sera créé en mars 2011 au Théâtre Saint Gervais Genève.

Il y a des soirs où je m’ennuie au théâtre
 Comme je suis très poli
Eduqué pour ne pas déranger
Je reste dans la salle
Pourtant je connais des spectateurs qui n’hésitent pas à quitter la représentation
Certains en silence
D’autres en faisant le plus de bruit possible
Histoire de manifester leur mécontentement
Que tout le monde sache
Que tout le monde en profite
Quand je m’ennuie vraiment trop
Quand ça devient insupportable
Je monte sur scène
Et j’interromps la représentation
Et j’insulte les comédiens
Je les moleste
Je les frappe jusqu’au sang
Evidemment
Evidemment je dis ça au sens métaphorique
Je me trouve toujours tout un tas d’excuse pour ne pas le faire
Comme dans la vie
C’est quand même incroyable ce qu’on s’ennuie au théâtre
C’est le lieu où je m’ennuie le plus
Pourtant je continue d’y aller
Souvent plusieurs fois par semaine
Je suis même content d’y aller
C’est dingue
Peut-être que l’ennui est nécessaire au théâtre
Que c’est dans l’essence du théâtre de s’ennuyer
Peut-être que l’ennui est une forme de résistance
Peut-être que dans un monde où nous sommes contraints de nous éclater en permanence, l’ennui est un luxe
Un privilège
Pour lutter contre l’ennui
Pour le rendre intéressant
J’ai quelques trucs
Par exemple
Parfois j’imagine que les acteurs sont nus
Je me demande si ça changerait la représentation
Les mots sonneraient-ils autrement avec des corps nus ?
Les acteurs prendraient-ils conscience de ce qu’ils sont en train de raconter ?
Je ne connais personne qui ne se soit jamais ennuyé au théâtre
C’est d’ailleurs un des arguments de ceux qui n’y vont pas
Moi, l’ennui, je trouve ça bien
C’est souvent quand je m’ennuie que je fais le point sur ma vie
Ça se fait naturellement
Je laisse mon esprit divaguer
Les voix des acteurs me relaxent
La présence des autres spectateurs me rassure
Le plus souvent, je ressors content de ces pièces à l’ennui créatif
Et puis
Il y a cette autre forme d’ennui
C’est quand ce que je vois sur scène en plus de m’ennuyer finit par me mettre en colère
C’est ce dont je parlais au début
L’envie de tout détruire
Par exemple
Si je vous dis que je vous aime ou si je vous traite d’enculés
Il faut que ça soit justifié
Sinon c’est de la provocation gratuite
C’est facile de vous traiter d’enculés
Peut-être que certains trouveraient ça fun
Crieraient au génie
        Putain, ce gars est génial
        Il nous a traité d’enculés
        Quel courage
        Quelle prise de risque
Moi, ça ne me ferait que moyennement plaisir de vous traiter d’enculés
Dramaturgiquement ça ne serait pas justifié
Ça ne me soulagerait pas
Ne m’apporterait aucun réconfort
Ce soir, peut-être que vous vous ennuyez
Réjouissez-vous nom de dieu
Vous venez d’entrer en résistance
Profitez pleinement de ce moment
Prendre enfin du temps pour soi
Se pencher sur sa vie
Les changements que vous souhaiteriez y apporter
L’homme ou la femme que vous allez enfin quitter
Celle ou celui à qui vous oserez parler
Ce soir, je tiens à remercier du plus profond de mon cœur le théâtre de m’avoir permis de m’ennuyer
Le théâtre m’a donné les moyens d’accomplir la révolution
Une petite révolution
Une révolution intime
Une révolution rien qu’à moi
Sans grands discours
Ni sang versé
Maintenant votons
Etes-vous pour ou contre l’ennui au théâtre ?
Ceux qui sont pour levez la main
Ceux qui sont contre
Ceux qui s’abstiennent
Ceux qui s’en foutent
Merci