samedi 19 juin 2010

L'auteur

Extrait de Je me méfie de l'homme occidental (encore plus quand il est de gauche) qui sera créé en mars 2011 au Théâtre Saint Gervais Genève. Ce texte a déjà été publié dans le journal de l'ABC à la Chaux-de-Fonds ainsi que sur le site de la Comédie de Genève. Il constituera la première scène du spectacle.

Depuis que je suis artiste, j’ai choisi de voter à gauche
Même à l’extrême gauche
Je suis selon certains de mes amis
          Un sale gauchiste de merde
J’aime quand ils m’appellent comme ça
          Un sale gauchiste de merde
Je ne sais pas si j’apprécierais autant si ça venait d’un type de droite
Si un type de droite me traitait de sale gauchiste de merde
Je crois que je n’aimerais pas
Remarquez qu’on ne dira jamais
          Un sale droitiste de merde
Enfin si on le dit
Mais c’est rare
Je ne sais pas pourquoi on parle toujours des gauchistes
Et jamais des droitistes
Je n’ai rien contre les gens qui votent à droite
Au contraire
Souvent je les préfère à ceux qui votent à gauche
Au moins les choses sont claires
Les positions idéologiques bien établies
Je ne supporte pas l’idée qu’on refuse de parler à un type en fonction de ses opinions politiques
Je suis content d’être de gauche
Etre de gauche, c’est un label de qualité
Au théâtre par exemple
Il y a tous ces spectacles qui se disent de gauche
Enfin ils ne le disent pas
Mais c’est induit
Fortement suggéré même
Des spectacles qui parlent de notre réalité sociale
Enfin de tous les problèmes dont les journaux nous abreuvent
L’immigration
Les sans-papiers
La pauvreté
La vieillesse
Nous allons les voir entre amis
Enfin pas vraiment entre amis
Mais dans la salle il y a une communauté qui préexiste
C’est bien simple
Avant que la pièce commence, nous sommes d’accord avec l’auteur
Nous sommes aussi d’accord avec le metteur en scène
D’accord avec les comédiens
Avec l’éclairagiste
Oui avec l’éclairagiste aussi
C’est important la lumière
Sans lumière ce n’est pas pareil
Ça change la mise en scène
Revenons à ma pièce de gauche
Elle commence
Nous sommes installés dans nos fauteuils
Très vite, nous sommes saisis par l’émotion
Transportés
Nous rions
Nous pleurons
Nous abandonnons toute résistance
C’est dingue
J’ai vu ça dans une pièce une fois
Enfin pas qu’une mais cette fois-là c’était vraiment gratiné
Ça parlait de travailleurs immigrés sur un chantier
D’exil
De fraternité
A la fin tout le monde s’est levé et a fait une standing ovation aux comédiens
A croire qu’il n’y avait que des travailleurs immigrés dans la salle
Que tous partageaient les problèmes des personnages
Que dès le lendemain, ils iraient militer dans une association de défense des travailleurs immigrés
De tous les travailleurs sans papier
De tous ceux que nous exploitons
Humilions
Non ce n’est pas vrai
Nous ne les humilions pas
Finalement ce n’est pas très important tout ça
Ce qui nous réunit ici
Le théâtre
Ce n’est pas très important le théâtre
Le théâtre ne changera pas le monde
Il ne le rendra pas meilleur
Plus juste
Moins violent
L’artiste qui se rêve en révolutionnaire
En éveilleur de conscience
C’est à ça que je rêvais quand j’étais plus jeune
Je pensais fomenter la révolution sur les scènes de théâtre
Transformer les gens
Ce que j’étais naïf
Ce que j’étais prétentieux surtout
Un putain de prétentieux moraliste et arrogant
Mesdames, Messieurs
Place au spectacle
Un dernier mot encore
Un conseil peut-être
Méfiez-vous des auteurs de théâtre
Encore plus quand ils se prétendent de gauche
Ils ont tendance à trop parler

1 commentaire:

  1. c'estcool, j'aime.. je viendrais voir si j'aurais l'argent pour ça ces jours-là et si ça serait le cas j'éspère que je ne serais pas deçu. j'imagine une pièce qui ferait tomber les masques de ses spectateurs. mais il faut peut-être pas se faire d'idée par avance. enfin je ne sais pas on verra bien!

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