samedi 19 juin 2010

La bourgeoise

Extrait d'Une histoire suisse, spectacle créé en avril 2010 au Théâtre Saint Gervais Genève. Soit la traversée subjective de l'histoire de ce beau pays de 1291 à nos jours. Je pense écrire un monologue de 45 minutes d'après ce texte.

LA FEMME. – La bourgeoisie suisse est une bourgeoisie putride. Je sais de quoi je parle. Je suis le produit d’une longue lignée de bourgeois bâlois. Nous avons fait fortune dans la banque et la chimie. Ma famille se complait dans une image vertueuse. Cette image a façonné notre imaginaire depuis cent cinquante ans. Nous nous affichons dans les galas de charité. Nous sommes parmi les principaux donateurs de l’opéra de Bâle. Une partie de notre fortune provient du commerce de l’opium. Pendant la première guerre mondiale, nous avons vendu du sirop contre la toux bourré à l’opium dans les tranchées allemandes et françaises. Les belligérants s’éventraient à coup de baïonnettes avec le soutien d’une drogue suisse. Dans ma famille, nous avons toujours eu des sympathies très poussées envers l’Allemagne.
En 1915, nous avons fait pression sur le conseil fédéral pour que la Suisse entre en guerre à ses côtés. Nous espérions récupérer un accès à la mer. Mon grand-père a rencontré Hitler en 1936. Il se sentait très proche de ses idées. Il m’a montré une photo de Hitler et lui marchant côte à côte à la montagne. Il m’a dit. C’était un grand homme. Personne n’a compris la force de ses idées. Quand j’ai parlé de cette photo à ma mère, après le décès de mon grand-père, elle m’a affirmé qu’elle n’avait jamais existé. Des pauvres bougres ont été exécutés comme traître à la patrie pendant la guerre. Mon grand-père et le colonel Wille, un ami de la famille, affichaient publiquement leurs sympathies pour les nazis et n’ont jamais été inquiétés. Mon père a poursuivi l’œuvre familiale. Il a voyagé à de nombreuses reprises en Afrique du Sud pendant l’apartheid. A seize ans, pauvre petite bourgeoise révoltée, j’ai écrit une lettre que j’ai envoyée à la NZZ. Elle n’a jamais été publiée. Mon père s’est arrangé pour me faire interner dans une clinique. Le médecin-chef était un ami de la famille. J’ai été gavée de médicaments pendant trois ans. A ma sortie de clinique, un de mes frères m’a demandé. Enfin calmée ? Ce misérable cloporte a travaillé pour une grande banque privée qui avait une importante filiale à Miami. Pendant quinze ans, il y a fait des allers et retour. Quand je lui demandais. Que fais-tu exactement ? Il me répondait d’un ton très sérieux. Je transporte des enveloppes. Il blanchissait l’argent du cartel de la drogue. Avec la petite fortune qu’il a accumulée, ses enfants ont intégré les meilleures universités américaines et anglaises. Il y a cent vingt mille millionnaires en Suisse. Cent vingt mille personnes qui s’accaparent la majeure partie de la richesse du pays. Je suis depuis peu légalement une de ces cent vingt milles personnes. Aujourd’hui je m’apprête à brûler cet argent. Je dis ça au sens métaphorique. J’ai prévenu mes frères. Je les ai entendu hurler à l’autre bout du téléphone. C’est le plus beau jour de ma vie.

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