samedi 19 juin 2010

Les ombres

Extrait de La ville et les ombres créé en août 2008 au Théâtre Saint Gervais Genève dans le cadre du Festival de la Bâtie. Soit le récit de l'évacuation du squat à Rhino à Genève avec ses multiples épisodes à rebondissement vu sous le regard de ses différents acteurs.
Ici la première scène, un travail autour du forum internet de la Tribune de Genève. La plupart des phrases ne sont pas de moi. J’y ai mis en oeuvre une technique employé en son temps par Peter Weiss.

Pas un bruit.
Silence.
La ville dort.
Nous n’existons pas.
Nous sommes un.
Nous sommes des millions.
Nous n’avons pas de nom.
Pas de sexe.
Pas d’âge.
Pas de nationalité.
Tout est vrai.
Tout est faux.
Le mensonge permanent.
La vérité totale.
Parlons. Parlons. Parlons. Il y a tant de choses à dire.
Et s’ils nous entendent ?
Que leurs oreilles restent grandes ouvertes.
Et s’ils nous regardent ?
Que leurs yeux restent rivés sur nous.
Pourquoi nous as-tu demandé de venir ?
Tous ces mystères. Je déteste quand tu fais ça.
Alors.
Accouche.
Patience et longueur de temps.
Ne recommence pas.
Je me casse.
Attendez.
Tu veux une baffe ?
Laissez-le parler.
Vous n’avez pas entendu la nouvelle ?
Quelle nouvelle ?
De quoi tu parles putain ?
C’est au sujet de Rhino.
Quoi Rhino ?
Qu’est-ce qu’ils ont encore fait ?
Toujours la même histoire.
Trop longtemps qu’ils nous font chier.
Qu’ils se croient tout permis.
Pour une fois, nous ne pouvons les accuser de rien. Ils seront bientôt évacués.
Tu plaisantes. Qui te l’a dit ?
J’ai mes sources.
Je me réjouirai quand cette évacuation sera effective.
Chaque année, on nous promet qu’elle aura lieu et chaque année.
Ils continuent de nous narguer. De parader dans les rues.
Ils font signer des pétitions. Ils s’affichent dans les journaux. Ils interviennent à la télévision.
Cette fois, c’est du sérieux. Le procureur général a décidé d’en finir une bonne fois pour toute.
Notre procureur en a.
Il a quoi ?
Des couilles. Il a des couilles pour faire cesser ce scandale. Des couilles bordel. Des putains de grosses couilles.
Depuis combien de temps il existe ce squat ?
Trop longtemps.
Sérieusement.
Dix-huit ou dix-neuf ans, je crois. Ils parlent déjà de fêter leur vingtième anniversaire.
S’ils tiennent jusque là.
Je ne comprends pas qu’une ville comme Genève continue de tolérer les squats. Une ville qui accueille en son sein le siège des nations unies, de l’organisation mondiale du commerce, de l’organisation mondiale de la santé, du bureau international du travail et de plein d’autres institutions tout à fait respectable dont je ne connais même pas le nom.
La honte sur Genève.
La honte sur nous.
Il y a deux ans, une télévision russe a fait un voyage ici pour tourner un reportage destiné à casser les préjugés sur la Suisse. Vous savez ce qu’ils ont choisi pour représenter Genève ?
Rhino.
C’est pour ça que nous n’avons pas de touristes russes. Quel intérêt de venir trouver ici ce qu’ils ont déjà là-bas ?
Genève est devenue la risée de toute la Suisse.
La crédibilité de Genève ne sera restaurée que lorsque tous les squats auront disparu.
Tout ça, c’est de la faute des politiciens qui soutiennent les squatteurs. Sans eux, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus de Rhino.
Des politiciens gauchistes.
Des nostalgiques de 68 qui n’avaient pas les couilles à l’époque pour faire la révolution et veulent se prouver quelque chose avant de crever.
Nous sommes dirigés par une bande de guignol.
Genève nous appartient autant qu’à n’importe quel squatteur.
Plus tu veux dire.
Il y aura de la casse en cas d’évacuation.
Comme pour le G8 en 2003.
Cette fois, nous sommes prêts.
Je serai dehors pour filmer les squatteurs.
La ville est à nous.
Formons des milices citoyennes. Montrons-leur qui commande.
Rallumons les fours crématoires.
Une simple balle dans la nuque et on les jette dans le lac.
Peut-être qu’on s’inquiète pour rien. C’est l’été. La plupart des squatteurs sont en vacances. Ils ont la belle vie. Pas de loyer. Pas de charges.
Nous vivons dans une société d’assistés.
Ils profitent. Ils profitent. Ils profitent.
Je ne suis pas d’accord. Certains d’entre eux travaillent.
Nous les connaissons leurs métiers.
Dealeurs.
Artistes.
Ou les deux.
Vous avez vu les horreurs sur les façades de Rhino ? Il y a de quoi se poser des questions sur leur santé mentale.
Ils appellent ça de l’art.
Mon gamin de trois ans ferait mieux que leurs immondices.
Faites attention à ce que vous dites. Les squatteurs pourraient nous faire un procès. Vous avez insulté leur sensibilité d’artiste.
Putain de squatteurs.
Des petits contestataires frustrés qui pensent tout savoir sur tout, font la morale assis au restaurant à dire.
La faim dans le monde, c’est terrible. Mais que fais l’Onu ? Manifestons.
Putain, ma vie est dure. Je suis totalement overbooké.
Ma sensibilité artistique me rend le monde sooooooooo pénible. Tu ne peux pas comprendre.
Des parasites.
De la vermine.
Et leur odeur ?
Une horreur. Même sans les voir, tu sais qu’ils sont là.
C’est leur arme de destruction massive.
Nous avons enfin déniché le stock de Saddam.
Vous ne trouvez pas que ça sent un peu bizarre ?
C’est vrai.
Il y a un sympathisant des squatteurs parmi nous. Qu’il se dénonce.
Ce n’est pas moi.
Tu peux nous le dire. Ce ne serait pas la première fois.
Je vous jure que je n’y suis pour rien.
En refusant de se laver, le squatteur critique la société. Il nous fait sentir qu’il est contre l’ordre établi.
Une contestation de façade. Le squatteur est bien content que la société existe.
Il s’y accroche comme une tique à un chien.
Leurs voisins dégustent quand ils organisent leurs grandes fêtes soi-disant populaires.
Des gens qui jouent du saxophone au milieu du boulevard, qui offrent sur le trottoir des repas à prix libre, non mais grand dieu, où va-t-on ?
Si j’avais eu Rhino à côté de chez moi, j’aurais déménagé.
Avec la crise immobilière, tu plaisantes ?
Les loyers sont beaucoup trop élevés.
C’est la faute de la gauche qui a freiné toutes les constructions dans le canton depuis trente ans.
La gauche prétend défendre les classes populaires. Elle ne pense qu’à son propre intérêt.
Certains élus de gauche ont des appartements beaucoup plus grand que le mien.
Tout ça, c’est magouilles et compagnie.
Certains individus obtiennent très vite des logements avec la gérance immobilière municipale quand des familles dans le besoin attendent depuis des années.
Une seule solution pour endiguer la hausse des loyers genevois.
Annexer la Haute-Savoie.
Que la gauche ne compte pas sur moi pour voter pour elle aux prochaines élections.
Tu n’as jamais voté à gauche.
Ce n’est pas demain que je vais commencer.
Il y a quelques semaines lors de la prestation de serment des élus, nos représentants se sont engagés vis-à-vis de la population à respecter et à faire respecter les lois. A ce jour, il faut constater qu’une certaine partie de nos élus nous ont menti.
La population genevoise sait que c’est grâce au socialiste Beer que les casseurs ont sévit en toute impunité à Genève lors du G8.
Elle sait que les principaux agitateurs sont toujours en place au sein du Département de l’Instruction Publique avec la bénédiction de Beer.
A Genève, c’est d’un type comme Sarkozy dont nous avons besoin.
Les squatteurs auraient déguerpis depuis longtemps si Sarkozy était aux commandes à Genève.
J’ai regardé l’émission Mise au point sur les squatteurs. J’ai été sidéré de voir des familles vivre avec des enfants là-dedans.
Ils arrivent à faire des gamins ?
Tu n’as pas vu la tête des gamins.
Avec des parents squatteurs, ils ne partent pas avec les meilleures chances dans la vie.
Certains enfants serviraient lors d’orgies sexuelles.
Ça ne m’étonnerait pas. Ils sont capables de tout.
Il y a des preuves ?
Comment veux-tu ? Les gamins sont tellement endoctrinés qu’ils n’en parlent à personne.
Faudrait faire quelque chose. Les dénoncer dans les journaux. Appeler la télévision.
Vous parlez par ignorance. Vous n’êtes jamais allé dans un squat.
C’est une conversation privée. Seules les personnes autorisées prennent la parole.
Pourquoi nous souhaiterions nous retrouver au milieu d’alcoolos et de drogués ?
Pas besoin d’y aller pour savoir ce qui s’y passe.
Ce sont des gens comme vous et moi.
Comme toi peut-être mais pas comme nous.
T’es squatteur ?
Probable que c’est un des leurs. Il a fait le déplacement pour nous convaincre de la justesse de leur cause.
Tu te fatigues pour rien. Nous ne sommes pas preneurs.
On les connaît vos beaux discours sur le partage et la vie communautaire. Tout pour moi et rien pour les autres.
Je ne suis pas squatteur. Je ne l’ai jamais été.
Tu t’es laissé endoctriné.
Quand je disais qu’ils sont malins.
Le squatteur ressemble à n’importe quel dictateur de bas étage. Il rêve d’imposer aux gens sa politique par la terreur et la violence qu’il applique dans la rue lorsque la loi est appliquée en sa défaveur.
Est-ce que vous imaginez une seule seconde que des gens peuvent penser différemment de vous ? Qu’ils peuvent avoir envie d’autre chose ? Qu’ils préfèrent garder du temps pour leurs enfants, vivre en collectivité, faire de la musique, organiser leurs vies en dehors de toute logique de profit ?
T’es là pour quoi au juste ?
Peut-être que je m’imaginais discuter avec vous.
Peut-être qu’on en a pas envie.
Peut-être qu’on préfère discuter entre nous.
Peut-être qu’on aime pas les sympathisants des squatteurs.
T’es bien pour Rhino ?
C’est facile comme question. Tu n’as qu’à répondre par oui ou par non.
Les occupations sont une réponse à la provocation qui veut nous faire croire que la richesse est la solution, que l’argent est la liberté.
Plus barge que je ne pensais.
Un discours préfabriqué.
Nous vivons dans une société où la propriété privée est un droit fondamental.
Qui vole un appartement, vole les citoyens.
Les squatteurs contribuent à la pollution de l’environnement.
Peut-être que c’est vous qui polluez.
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Vous n’êtes qu’une bande de fascistes.
Ecoutez-le. Il vient nous prôner la tolérance et après il nous insulte.
Ceux qui soutiennent les squatteurs, qui parlent d’ouverture d’esprit, sont souvent ceux qui font preuve du plus de fermeture.
C’est impossible de discuter avec vous.
T’as entendu comme tu nous parles ?
Les financiers ont réussi leur coup. Stigmatiser les squatteurs. Tous des profiteurs. De la mauvaise graine.
Qu’est-ce qu’on fait ? On le laisse causer.
Qu’est-ce que tu proposes ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire