samedi 19 juin 2010

La manifestation

Extrait de La ville et les ombres créé en août 2008 au Théâtre Saint Gervais Genève dans le cadre du Festival de la Bâtie. Soit le récit de l'évacuation du squat à Rhino à Genève avec ses multiples épisodes à rebondissement vu sous le regard de ses différents acteurs.

Quelle chaleur. Un soleil de plomb. Ça nous change des jours d’évacuation. Sur la place Neuve, beaucoup de monde. Dans la foule, des dizaines d’adolescents habillés dans la tenue typique des blacks blocs. Greta Gratos prend la parole. C’est devenu une habitude. Les gens rient. L’applaudissent. Ensuite vient le tour de plusieurs représentants des partis d’extrême gauche. Puis de celui d’un membre du parti socialiste. Il n’a pas dit deux mots qu’il se fait huer. Laissez-le parler. Il ne dit pas que des conneries. Putain ce que ça m’énerve. On se met en marche. Il y a des flics pour bloquer la circulation. Il y a beaucoup d’enfant dans le cortège. Nous marquons un premier arrêt devant le squat de l’Arquebuse. Nouveaux discours. Je n’entends pas grand chose. Je m’en fous un peu. On avance. Je croise une amie. Alors les enfants, c’est pour quand ? C’est en train. Du moins, on essaie. C’est compliqué les dates d’ovulation. Je me suis renseigné sur internet pour mieux comprendre. T’as entendu parlé du phénomène de double ovulation ? Non. Les femmes ont parfois deux ovulations pendant un même cycle. C’est bien. Faut que je passe à la Placette pour faire quelques courses. J’ai un barbecue avec des amis ce soir au bord du lac. Pas mécontent de m’extraire de la manif. En même temps, ça me fait bizarre d’entrer dans la Placette. Je fais le tour des rayons. Je regarde les gens. J’essaie d’imaginer ce qu’ils pensent. Je paie mes achats et je sors. La manifestation est à peine à cent mètres devant moi. Immobilisée. Encore des discours. Sur le sol, des canettes de bières. Plusieurs personnes torses nus. Il fait toujours aussi chaud. Nous nous dirigeons vers les Pâquis. Je suppose que nous allons passer devant l’Hôtel California. Nous pénétrons dans la rue Plantamour. Deux cents mètres et nous nous immobilisons. Je ne vois rien. Je n’entends rien. Puis c’est le bruit. Comme un sifflement. Et des petites explosions. Je ne comprends pas ce qui se passe. Mes yeux me piquent. Des gaz lacrymogènes. Autour de moi, des familles avec des enfants. C’est la panique. Des gens crient. Se bousculent. Une lacrymo explose à moins de cinquante centimètres de ma tête. J’ai tout le visage qui me brûle. Putain d’enculés. Une fille que je ne connais pas me tend du citron. Tiens. Passe-t-en sur le visage. Ça neutralise les effets. Nous nous replions sur les quais. Des familles s’échappent par les petites rues adjacentes. Je reste le long des quais. J’ai les yeux complètement explosés. Un des camions de la manif tombe en panne à côté de moi. C’est le radiateur qui a flanché. Un nuage de vapeur s’élance vers le ciel. J’entends du bruit au loin. Je me retourne. Des canons à eau aspergent la queue de la manifestation. Bordel. Faudra pas s’étonner si ça dégénère et s’il y a de la casse. Nous nous retrouvons sur le pont du Mont-Blanc. Je me souviens de la dernière grande manifestation de la fonction publique où nous nous sommes retrouvés à dix milles personnes à bloquer le pont. On est loin du compte. Je regarde ma montre. La manifestation doit encore remonter jusqu’à Rhino. Je suis fatigué. De l’autre côté du pont, je m’arrête à une fontaine. L’eau n’est pas potable. J’en trouve une deuxième. Je me rince le visage. Bois de l’eau. Regarde autour de moi. Puis je me décide. Tant pis pour la manifestation. Sur le chemin, je croise des policiers. Ils ont surgi de nulle part. Il y en a de partout. Regards supérieurs. Tenues de robocop. Empêcher les méchants manifestants de piller les magasins de la rue du Rhône. J’ai un peu honte. Et puis merde. Tant pis. On ne peut pas être partout à la fois. Pour une fois qu’il fait beau.

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